Nous distinguons le discours
philosophique des autres discours par la formule : Y a -t-il une unité
à la diversité des choses et des idées ? C'est-à-dire
que la philosophie thématise l'aspect interrogateur dans les tentatives
des divers systèmes culturels comme les mythologies, les religions,
les arts, les magies, les sciences.
Ces systèmes culturels
manifestent une recherche de l'unité (absolu, connaissance objective)
mais ils en viennent rapidement à prétendre détenir
celle-ci. D'où le travail possible de la philosophie qui rappellera
l'aspect peut-être fini de ces mêmes systèmes.
Par exemple, prenons un objet
commun, comme dirait Descartes : un tableau noir suspendu dans une salle
de cours. Nous demandons : Est-ce que nous voyons le même tableau
? Rapidement, il nous sera répondu : nous voyons le même tableau
mais de manières diverses!. Comment résoudre la contradiction,
ici : "oui, mais" dans cette affirmation ? Pour un scientifique, la réponse
sera : " J'ai la solution! Je vous donne la configuration géométrique
du tableau, la formule chimique de l'ardoise, les composantes optiques
de toute vision possible, et, quelques soient vos caractéristiques
personnelles (diversité) vous verrez le même tableau!" Le
scientifique, utilisant "le nombre" comme instrument prétendra qu'il
détient "le même tableau".
Refaisons le même exercice
avec un curé : il acceptera lui aussi la question et prétendra
détenir la réponse : les êtres humains, suite à
la déchéance (péché) sont condamnés,
jusqu'au salut, à voir les choses de diverses manières; mais,
que les êtres humains, rejetés du paradis, ne paniquent pas
: Dieu détient "le même" et leurs visions fautives seront
corrigées : ils verront tous la même chose!
La philosophie questionne
la justesse de cette prétention à détenir l'unité,
à, dans ce premier exemple, connaître exhaustivement les diverses
réalités. Les divers systèmes culturels prétendent
à cette vérité absolue et nous connaissons les bagarres
entre ceux-ci.
Les philosophes ont inventé
au cours de l'histoire divers instruments heuristiques afin de développer
la remise en question de ces prétentions, y compris la critique
de la philosophie elle-même comme recherche de l'unité. Par
exemple, en utilisant un outil comme les idéologies, nous pouvons
montrer le processus de naturalisation qui fait en sorte que des concepts
particuliers et culturels sont transformés en concepts universels
et naturels. La philosophie ne craint pas de s'énoncer comme idéologie,
de relativiser ses propres instruments et ses points de départ.
En multipliant les comparaisons, en réfléchissant sur elle-même,
la philosophie s'accommode d'une butée qui s'appelle : la diversité
des êtres humains.
Quand nous parlons de crise
de la philosophie, c'est peut-être le moment où celle-ci retrouve,
sous les vérités toutes faites, les obscurantismes de toutes
sortes, ses élans de questionnement et d'interrogation. Ce mode
de remise en question est fragile, difficile à "maintenir" . Surtout
que la philosophie a été aux origines, a rendu possible,
bien des développements comme certaines religions et les sciences
dites modernes. En ce sens, elle est souventes fois considérée
comme un "témoin gênant". De jouer sur cette double entrée
: aux origines et critique persévérante, il devient possible
de soulever à nouveau le voile du tandem hypostase-idole pour tenter,
au minimum, de tenir la tête droite.