L’ " économie dominante" américaine, est-elle contestable " ?
Pierre Tabatoni de l’Institut
Une économie dominante exerce une influence déterminante, à léchelle mondiale, sur la dynamique de léconomie, dont elle fixe et diffuse les règles du jeu les plus importantes.
Les économistes utilisent, sans dramatiser, les termes déconomie dominante et de contestation. Nous allons les expliciter principalement dans le cadre des relations Etats-Unis-Europe, bien que leurs effets affectent lensemble des relations économiques du fait des interdépendances de léconomie mondiale.
Une économie dominante exerce une influence déterminante, à léchelle mondiale, sur la dynamique de léconomie, dont elle fixe et diffuse les règles du jeu les plus importantes.
Contester a plusieurs sens : on peut contester lorganisation du système économique lui-même, ou certains de ses dysfonctionnements. Raisonnant dans le cadre de léconomie de marché, léconomiste utilise le terme "contester ("marchés contestables "), dans le cadre du système : il sagit des efforts visant à remettre en cause des positions privilégiées dun acteur dominant, en améliorant ses propres avantages compétitifs, et en évitant les dysfonctions de la domination. Cest dans ce sens que nous lentendrons ici. Nous nous intéresserons à lefficacité du système densemble, et plus spécialement à son " potentiel ", cest à dire à sa capacité de maintenir, ou daccroître, à plus ou moins long terme, les avantages relatifs dont il jouit.
Lobservation comparée de léconomie américaine et de léconomie européenne, dans les dix dernières années qui ont vécu une croissance économique exceptionnelle, fondée sur les innovations technologiques et lextension des échanges, met en relief les différences entre nos deux systèmes économiques, du point de vue de leur efficience de long terme. Notre conclusion est que la contestation européenne doit avant tout sefforcer de surmonter les faiblesses relatives actuelles de son potentiel dinnovation, sur le plan scientifique, technologique, organisationnel, tout en développant son propre modèle dinnovation, qui exprime ses spécificités.
Léconomie dominante américaine
Les Etats-Unis sont une puissance économique dont la nature et le rythme de croissance entraînent léconomie et le commerce mondiaux, tout en renforçant leurs positions internationales et leur potentiel de croissance à long terme. Cette puissance assure aux américains un niveau de vie plus élevé quen Europe, avec un écart qui saccroît : 34 000 dollars de revenu réel par tête, contre 24 000 en Europe de lOuest, et 10 000 en moyenne dans lEurope de lEst.
Le rôle dominant de léconomie américaine a ses sources dans son vaste espace géographique et démographique, sa culture compétitive, scientifique et technologique, sa diversité culturelle, ses capacités de gérer des grandes transactions et dorganiser de grands marchés, ses modèles de management.
Elle sappuie sur les doctrines libérales et de management compétitif, aujourdhui largement diffusées dans le monde, qui ont poussé à linternationalisation des activités. Les firmes multinationales américaines jouent un rôle essentiel. Dans la liste des 500 plus importantes firmes du monde, 191 sont américaines parmi les plus importantes de tous les secteurs ; les cent plus grandes, où les firmes américaines sont en majorité, représentent 13 % du commerce et 15 % de lemploi mondiaux (v. P. Bauchet, 2002, Concentration des multinationales et mutation des pouvoirs de lEtat, CNRS Editions).
Ses innovations, technologiques et managériales continues, sont incorporées dans de nouveaux produits et services qui soutiennent ses exportations, et plus généralement ses positions stratégiques. Les médias et systèmes de communications américains exercent une influence culturelle qui renforce son influence économique. Ses atouts économiques renforcent également ses avantages politiques et réciproquement.
Bien que le commerce extérieur des Etats-Unis ne représente que 12 % en moyenne de sa production, cette part est beaucoup plus importante dans les activités commercialisées à léchelle mondiale, notamment dans les nouvelles technologies (systèmes dinformation, applications de la biotechnologie, nouveaux matériaux, transports internationaux) et dans les activités pétrolières et les services qui ont bénéficié des innovations techniques.
Dans le secteur des services, qui représentent plus des deux tiers des économies modernes, les EU ont des positions dominantes dans les télécommunications, lorganisation de lInternet, les logiciels qui sont le cur de la société dinformation, les média de masse. Leurs intermédiaires financiers, leurs banques, assurances, sociétés dinvestissement, grands marchés boursiers, organismes danalyse et dinformation, de " notation ", de conseil et de réorganisation stratégique, leurs grands cabinets juridiques sappuyant sur le rôle prééminent du droit américain dans les relations internationales, traitent les affaires les plus importantes. Leurs réglementations simposent à toute firme qui entend opérer aux EU, cest à dire à toute grande firme.
A la fin de 2001, la position (valeur des stocks) des investissements américains à létranger représentaient 6, 9 trillions de dollars, et celle des investissements étrangers aux Etats-Unis, attirés par la croissance américaine, 9, 2 trillions.
La dette nette des Etats-Unis vis à vis du monde était donc de 2, 3 trillions de dollars.
Cet endettement sest fortement accru depuis 1995, de 170 milliards par an, en moyenne, et de 629 milliards en 1999-2001. Nous commenterons plus loin la portée de ces chiffres. Mais ils indiquent la capacité dattraction aux Etats-Unis des capitaux étrangers, un trait caractéristique de leur économie dominante.
Les taux de croissance (1)
Entre 1984 et 1993, le taux de croissance annuel du PIB américain en termes réels, a été de 3, 21 % contre 2, 4 % pour lUnion Européenne, et 3, 7 % pour le Japon. Mais les innovations réalisées pendant ce quon a appelé quelque temps la « nouvelle économie », dans les années 1994-2000, ont fortement accéléré ce taux américain, de 3, 8 % à 4, 4 %. Par comparaison, dans la même période, le taux européen, qui était négatif en 1993, a oscillé entre 2 % et 3 %.
Si lon tient compte des mouvements de la population, les comparaisons de taux de croissance du PIB réel, par tête dhabitant, donnent des chiffres différents.
1996 1997 1998 1999 2000 2001
Etats-Unis: 2, 6 % 3, 4 %3, 3 % 3, 2 % 0, 9%, 3 %
Union Européenne: 1, 4 % 2, 4 % 2, 8 % 2, 6 % 3, 3 % 1, 5 %
La dynamique des investissements privés a marqué lévolution économique des dix dernières années et son rythme cyclique. Depuis les années 1970, lévolution cyclique des 20 pays les plus industrialisés, et celle des Etats-Unis ont été des cycles de linvestissement fixe privé, en phase, dune durée de six ans environ. La majorité des phases de dépression a été dintensité faible à modérée, les phases de prospérité plus longues, et la tendance, partout, a été à la réduction de linflation. On ne peut donc pas dire que cette économie dominante ait accru linstabilité cyclique.
Le mythe de la « nouvelle " économie "
Malgré laccélération de la croissance le taux dinflation, mesuré par la hausse des prix à la consommation, est resté faible, naugmentant de 1996 à 2000 que de 1 %, puis à 3 % en 2001, avant de retomber à 2 % en 2002. Cest leffet de la hausse de la productivité ; les réduction de prix des produits qui en ont bénéficié, ont limité la hausse générale des prix. Le taux de chômage, fortement réduit à 4 % de la population active en 2000, sest progressivement accru jusquà près de 6 % en 2002.
La hausse des taux de change du dollar, observée de 1995 à 2000, na pas freiné les exportations américaines fondées sur linnovation technologique, et au contraire a fait obstacle aux pressions inflationnistes. Enfin les taux dintérêt à long terme, facteur important des investissements, ont poursuivi leur baisse amorcée à la fin des années 1980, dun niveau de 9 % en 1990 à près de 5 % fin 2000.
Tous ces faits nous expliquent le mirage collectif, la naissance rapide dun nouveau mythe dune nouvelle économie exposée dans sa théorie, diffusée par les « experts » et les médias, partagé par les dirigeants dentreprises et leurs financiers, qui y avaient tous intérêt.
Classiquement, ce mythe a eu la valeur dune « idée-force » qui a entraîné, comme dans un vertige, linnovation et ses risques, et a été la source dune accumulation exceptionnelle dinnovations dont la portée se fera longtemps ressentir dans toute léconomie mondiale. Il sagit dune économie où une production créative pourrait longtemps se poursuivre, avec des cycles modérés. Elle enrichirait les participants à la production et tous les détenteurs de patrimoine, y compris un nombre croissant de ménages à revenu moyen, et elle réduirait le chômage et le taux dinflation.
Mais la violente crise de 2000 (2) a démonté cet optimisme, et explicité les dysfonctions de ce nouvel "âge dor ", qui constituent des pièges de croissance.
Les pièges des déficits
On sait aujourdhui que cette rapide croissance américaine a été grandement facilitée par ses politiques financières qui comportent des risques de "crédibilité " pouvant affecter sa croissance à long terme.
1) La création de monnaie et les disponibilités en crédits, de 1995 à 1998. Son taux de croissance annuel, nul en 1995, mais de 15 % au début de 1999, sest réduit à 8 % en 1999. Ces facilités monétaires ont permis aux entreprises et aux ménages de mettre en uvre des stratégies dynamiques, en sendettant, pour moitié en emprunts à court terme. Les perspectives de plus-values dactifs ont incité et facilité la spéculation, et suscité de nouveaux instruments de gestion des portefeuilles et des risques, complexes et mal maîtrisés. Les économistes connaissent assez bien les relations entre les variations de la monnaie et celle des prix (inflation) mais moins bien ses rapports avec les variations des valeurs des actifs et les dépenses des agents. Or dans un pays riche où un grand nombre dagents possède des actifs, et notamment des actions (80 millions dactionnaires aux EU) les comportements « patrimoniaux » sont stratégiques.
2) Le déficit budgétaire sest très fortement accru depuis deux ans. Il a atteint jusquà 5 % du PIB en 2002, soit son taux pendant la récession de 1990-992. Son augmentation soutient certes la demande en période de dépression mais peut induire des hausses de taux dintérêt défavorables à linvestissement.
3) Le déficit courant des comptes extérieurs, et notamment de la balance du commerce, atteindra sans doute en 2003 le taux record de 5, 5 % du PIB.
Il doit être financé par des capitaux étrangers dont les concours sont toujours incertains, et il affecte le taux de change qui lui, influence la balance du commerce (3)
Nous ne parlerons que des déficits du budget et des comptes extérieurs.
Le déficit du budget
Le déficit du budget global des autorités Fédérales, des collectivité locales et de la sécurité sociale, égal à 5, 2 % du PIB en 1993, sétait retrouvé en surplus de 1, 5 % en 2000.
La crise la transformé en nouveau déficit. Pour le FMI et lOECD il pourrait atteindre 6 % en 2003, et même dépasser ce chiffre si les dépenses en Irak devaient sensiblement augmenter . La dette publique, soit 60 % du PIB, presque à son niveau de 1986, induit une charge 3. 500 dollars par habitant. Dans la zone euro ce déficit ne dépasse pas 2 % du PIB.
Le problème de fond est la chute de lépargne des consommateurs, qui de 8 % du revenu disponible en 1990 est tombée à 4 % en 2002, alors que le taux en Allemagne est de 11 %. Le phénomène nest pas limité aux Etats-Unis. Le taux dépargne des ménages au Japon, de près de 15 % en 1990 est tombé à 5 % en 2002. Or la hausse de lendettement ne peut éternellement dépasser laccroissement des revenus. En outre des familles plus jeunes et moins riches vont remplacer les baby-boomers de 1946 et 1964 ; elles seront moins aptes à sendetter.
Dans cet ensemble, le déficit du budget fédéral, pour lannée fiscale 2003 a été de 401 milliards de dollars, et sélèverait à 480 milliards dans lannée 2004, soit près de 5 % du PIB. La raison en est la baisse des recettes fiscale en récession, les politiques de baisse des impôts et daccroissement des dépenses militaires et sociales qui ont atteint la somme astronomique de près de 5 % du PIB en trois ans ! Le Bureau du Budget (CBO) du Congrès, rarement optimiste, estime maintenant que le Gouvernement va accumuler des déficits qui pourraient atteindre 1. 400 milliards de dollars en 2013, compte tenu de laccroissement des dépenses de sécurité. Bien entendu une vive reprise économique accroîtrait les ressources fiscales. Mais limportance du déficit public rend méfiants les investisseurs en dollars.
Cette forte relance budgétaire a soutenu la demande pendant la phase de dépression, mais ses effets de relance exigeraient une baisse continue des impôts qui, politiquement, serait plus difficile à obtenir à lavenir.
Comme le taux dintérêt à court terme est de 1 %, la marge de réduction du taux, en soutien de la demande, est aussi fort réduite. Laccroissement de la dette publique peut cependant entraîner une hausse des taux dintérêt à long terme qui freine linvestissement. Larrivée de la récession a provoqué la fuite massive des placements en actions vers les obligations, provoquant une véritable « bulle » dobligations. La hausse de leurs cours a dabord fait baisser les taux « longs », ce qui était favorable à léconomie, mais la perspective de reprise provoque des vagues de ventes qui poussent ces taux à la hausse, alors que la reprise est encore incertaine.
Le déficit courant des comptes étrangers
Il na pratiquement pas cessé depuis 1985, où il atteignait 3 % du PIB ; après un surplus faible et provisoire en 1991, il sest élevé à 4, 8 % au premier trimestre 2003. Les perspectives de 2003 pousseraient ce déficit vers 590 milliards, soit 5, 5 % du PIB ! Cest une exceptionnelle propension à importer des consommateurs américains, nourrie par le crédit, qui en est la cause principale. Les filiales à létranger des multinationales américaines, qui exportent leurs productions locales, en sont largement responsables. Malgré la récession, les ménages, dont les revenus réels se maintenaient, ont continué dacheter des produits étrangers.
Dans les 12 derniers mois, depuis août 2002, le "déficit commercial américain" a atteint 529 milliards de dollars.
Une reprise économique américaine fin 2003 et 2004, accélére les importations, qui ont augmenté déjà de 8 % au second trimestre, La demande étrangère dexportations américaines, qui a baissé de 1% en 2003, est freinée par la persistance de la dépression en Europe, et la faible reprise au Japon, ce qui fait craindre que la seule reprise américaine ne soit pas suffisante pour jouer son rôle de locomotive.
Ce déficit extérieur est couvert par les capitaux étrangers, et les Etats-Unis reçoivent en moyenne 1, 6 milliard de dollars, nets, par jour.
Aussi peut-on attendre dun déficit courant extérieur persistant, une forte détérioration du taux effectif réel de change (entre le dollar et une quinzaine dautres devises). Ce taux élimine les différentiels dinflation. Depuis 1986, il a baissé jusquen 1995, avec une certaine stabilité jusquen 2000. Puis, malgré la hausse du déficit extérieur courant, il sest fortement apprécié de 2000 jusquau premier trimestre 2002.
Le renversement sest opéré ensuite, et la baisse du taux se poursuit.
Cette baisse est normale et équilibrante, afin de permettre , un accroissement des exportations américaines, et donc une réduction progressive du déficit courant. On observe que ce taux réel sest apprécié entre 1999 et le premier trimestre 2002, bien que le déficit courant ait cru jusquà 4, 5 % à la fin de 2001. Ensuite le déficit a baissé jusquà 3 % du PIB, fin 2002, et a, à nouveau, augmenté jusquà 5 %, provoquant cette fois une forte chute du taux de change jusquau second trimestre 2003.
Si lon considère le taux de change, en termes nominaux, du dollar en euro, qui valait 0, 8 euros au début de 1999. Il sest apprécié jusquà 1, 2 euros au début de 2001, mais au cours du second trimestre 2001 il sest à nouveau déprécié, pénalisant les exportations européennes. Depuis mai 2003, il sest encore apprécié, à 1, 1 en août. Ce mouvement sexplique par les entrées de capitaux étrangers attirés aux EU, non par des motivations dinvestissement direct, mais par un différentiel dintérêt sur les obligations américaines, et le désir des Banques Centrales du Japon et dautres pays asiatiques de freiner la baisse du dollar afin de protéger leurs exportations commerciales. La Banque du Japon a ainsi acheté près de 80 milliards de dollars cette année, détenant ainsi 12 % des obligations du Trésor américain. Ainsi le change Yen/dollar, depuis juin 2002, a légèrement fluctué autour de 120 (4)
En résumé laccroissement important, prévisible, du déficit américain comporte le risque dune nouvelle baisse de la devise américaine, qui gênerait les exportations des pays étrangers. Ce serait un véritable nouveau choc pour léconomie mondiale.
Les marchés de capitaux américains comptent sur leur puissance et leur «efficience» pour continuer dattirer ces capitaux.
Cest une situation instable, reposant sur des comportements de détenteurs étrangers de dollars, qui dépendent de leurs propres perspectives de croissance économique. Or ces perspectives dépendent de lévolution de leur potentiel compétitif à long terme.
Avec la mondialisation, la croissance américaine, et donc le rythme de ses innovations, dépend de plus en plus des performances de léconomie mondiale, cest à dire de sa capacité à absorber ce rythme élevé conduit par léconomie dominante depuis une trentaine dannées.
Le défi du potentiel compétitif des Etats-Unis
Aujourdhui la croissance économique est « tirée » par les innovations qui dépendent de la créativité scientifique, technologique et managériale. LEurope ne manque pas datouts, mais ses faiblesses résident dans ses insuffisantes capacités à les mobiliser aussi intensément que les américains.
Les atouts américains
Il est classique de citer les avantages compétitif du système américain : énergie bon marché, flexibilité économique et sociale, main duvre immigrée importante à tous les niveaux de qualification, pression fiscale inférieure, dépenses militaires massives, et surtout structures et mentalités de compétition surveillées étroitement par une législation anti-trust rigoureuse. Mais latout majeur est la capacité scientifique et technologique, exploitée efficacement par des méthodes de management innovatrices, qui permettent et renforcent lintervention des autres facteurs de compétitivité, et qui fournissent les bases dune domination économique entretenue.
1 - Science, Technologie, Innovations
Aujourdhui les capacités technologiques et managériales, qui créent et diffusent rapidement des produits et services nouveaux, pour remplacer des produits à cycle de vie court, sont au coeur de la compétition. La concurrence et la hausse de la productivité due aux innovations font baisser les prix, ce qui accélère la diffusion des nouveautés, et incite les entreprises à renouveler leurs innovations dès que possible.
Comme lexplique W. Baumol (2002, The Free Market Innovation Machine, Princeton Univ. Press), les nouvelles firmes, opérant dans des marchés doligopoles compétitifs mondialisés, ont systématiquement développé les applications de ces idées nouvelles, dans toutes les activités, grâce à leurs programmes organisés de recherche-développement, et à la concurrence monopolistique qui règne sur ces mêmes marchés. Malgré les brevets, une rapide diffusion des nouveautés a été possible grâce aux ventes de « licences », aux diversifications, et aussi grâce à un usage croissant de la gratuité des services et à des prix bas permettant doccuper rapidement des positions privilégiées dans les réseaux qui structurent nos économies modernes.
Cette compétition technnologique est, on le sait, destructive des positions acquises : la destructive creation de J. Schumpeter. (5)
Nos sociétés ont elles-même innové dans leurs institutions, leurs rôles, leurs structures et leur culture, et elles ont recherché de nouvelles méthodes pour inciter des scientifiques et des entreprises à inventer et à développer, conjointement si possible. Partout les pouvoirs publics ont développé des politiques de la science et de la recherche. Léconomie nouvelle est une économie de la connaissance, de son transfert, du changement.
On oublie aussi trop souvent que la poursuite partout de politiques de stabilisation monétaire, depuis les années 1980, et de libéralisme compétitif, ont progressivement supprimé les facilités que donnait linflation aux entreprises pour faire apparaître du profit, en augmentant leurs marges et leurs prix, et pour pratiquer des hausses de salaires. La charge de la dette se réduisait.
En outre les baisses compétitives de prix, et même le développement de services gratuits, fréquents sur Internet, ou dans lusage de logiciels (comme LINUX), ont réduit les bénéfices, et incité les entreprises à réduire leurs coûts, et surtout à innover pour occuper de nouveaux marchés ou améliorer leurs positions concurrentielles, rechercher des alliances stratégiques afin de partager les opportunités et les coûts dinnovation, et leurs risques. Elles ont du sadapter aux goûts de plus en plus diversifiés et individualisés des clients, et donc innover dans leurs politiques de production et de mercatique.
Dans les incitations à linnovation toutes les formes dappropriation de linnovation sont importantes et elles sont elles-mêmes soumises à un flux constant dinnovations.
Elles comportent les dispositifs de propriété intellectuelle (brevets, licences, marques, droits dauteur pour les logiciels) mais encore plus souvent des méthodes de gestion qui limitent la concurrence. (6)
La recherche-développement
Les inventions technologiques qui fondent les innovations, dans un marché hautement compétitif, sont directement liées aux efforts et aux performance de la recherche-développement, qui font intervenir les organismes scientifiques (recherches des enseignements supérieurs ), la puissance publique et les entreprises. Lavantage américain est du à des efforts plus importants et efficaces, et une meilleure combinaison de ces différentes prestations que dans dautres pays. Lexcellent texte de D. W. Versailles, V. Mérindol, P. Cardot : La Recherche et la Technologie, Enjeux de Puissance, Economica, 2003, nous donne une présentation de synthèse, en dégageant le rôle des recherches publiques, et du financement public de la recherche. Ils rappellent le rôle considérable joué par la recherche de défense et de sécurité dans le développement des grandes avenues technologiques aux Etats-Unis, aussi bien dans le secteur public scientifique que privé.
La Rand Corporation a établi un classement international des potentiels scientifiques et techniques, à partir des organismes de recherche, des dépenses de recherche-développement, des brevets, des effectifs scientifiques et dingénieurs, des publications scientifique, des étrangers venant faire des travaux de science et ingénierie.
On peut discuter la méthode qui donne quelques résultats surprenants, mais le classement de lindicateur de synthèse donne 5, 03 aux EU, 3, 08 au Japon, 2, 12 à lAllemagne, 1, 97 à la Suède, 1, 73 à la Grande-Bretagne, 1, 60 à la France, 0, 88 à lItalie. Lindicateur des dépenses de recherche-développement ( par rapport à la moyenne) est beaucoup plus différencié : EU, 2, 72 ; Japon, 2, 94 ; Suède , 4, 19 ; Allemagne, 2, 43, France, 2, 23, Italie, 2,17, Pays-Bas, 2 ; Grande-Bretagne 1, 84.(7)
2 Innovation, Productivité, Croissance
Après 1945 les économies industrielles ont dabord développé les inventions et innovations de la période de guerre, lEurope rattrapant les Etats-Unis, en produits et méthodes de gestion, grâce à des investissements internationaux, au Plan Marshall et à dinnombrables missions aux EU, qualifiées alors de « missions de productivité ». Puis de nouvelles vagues dinnovations de base dans lénergie, les transports et laéronautique, lélectronique, linformatique, loptique, les matériaux, les biotechnologies, la gestion financière du risque, etc, ont profondément renouvelé le potentiel technologique et économique de ces économies (8).
Cest lusage des produits et services TI plus que leur production qui a joué le rôle le plus actif dans la croissance industrielle. Le FMI, pour la période 1990-1998,a calculé que la part de ce secteur dans le taux de croissance du PIB réel, a été de 44 % aux Etats-Unis, 47 % en Grande-Bretagne, 45 % en Allemagne, 40 % aux Pays-Bas, 38 % en France, mais 93 % au Japon et 62 % en Finlande.
Grâce aux innovations, la durée de la phase de croissance du PIB dans les années 1990, jusquà la crise de 2000, a été supérieure aux précédentes. La hausse de la productivité a joué un rôle clé (9)
Les taux de croissance (v.tableau de la Note 9) confirment une croissance de la productivité américaine supérieure à celle de lEurope, de 1995 à 2000. Le même phénomène se produit depuis 2002.
La comparaison des productivités doit sinscrire dans une analyse économique qui les éclaire. A taux égaux il faut tenir compte des différences des taux demploi de la main duvre, car il est possible daccroître la productivité en réduisant la main duvre. LEurope, sauf la Grande-Bretagne, a du supporter un chômage structurel plus élevé (autour de 8-9 %) que les Etats-Unis (4 %). En outre le taux dactivité est plus faible quaux Etats-Unis où la durée de lactivité des travailleurs et la charge hebdomadaire de travail sont plus longues et les congés plus brefs. Les charges pesant sur le travail en Europe continentale, incitent les entreprises à rechercher la productivité par heure travaillée la plus élevée, et donc une main duvre à haute productivité pouvant rapidement sadapter au changements requis par la concurrence. Les adultes de 55 ans sont fréquemment mis à la retraite anticipée, et les jeunes moins qualifiés sont moins facilement recrutés, ou à titre temporaire.
Rôle déterminant des technologies dinformation dans la hausse de la productivité
Cest le secteur des technologies de linformation, cest à dire lusage des ordinateurs, des logiciels et des services informatiques, dont lInternet, qui a entraîné la productivité du travail américaine à la hausse. Selon le Bureau des Statistiques du Travail américain, le secteur des (TI) qui ne contribuait que pour 5 % au taux de croissance du PIB américain en 1948-1973, intervenait pour près de 29 % en 1995-1999, dont 7, 5 % pour les ventes dordinateurs, et 10 % celle des logiciels (10)
De ce point de vue lEurope a pris du retard, moins dans lintensification informatique et les investissements dans lInternet, que dans leur utilisation efficace pour accroître la productivité dans toutes les activités. Le problème est que lutilisation productive des nouvelles technologies de linformation exige des restructurations et rationalisations, des redistributions de rôles et de pouvoirs, et une flexibilité de lorganisation elle même. Ces difficultés existent aussi aux Etats-Unis, mais notre système organisationnel et économique est plus rigide. Cest un autre vaste problème.
LEurope acteur mondial; ses atouts
LEurope est amplement pourvue des atouts dune croissance à long terme, qui devraient être accrus par lintégration dune centaine de millions dhabitants de lEurope du Centre et de lEst. Ce nouvel espace devrait fournir à lOuest des opportunités nouvelles de croissance commune. Elle groupera près de 500 millions dhabitants vivant selon des normes qui se rapprocheront. Mais sa population vieillit plus rapidement que celle des Etats-Unis, et lintégration de lEurope Centrale narrangera pas la situation. Elle a dautre part plus de difficultés à intégrer les populations immigrées, dans son système de travail.
Sur le plan général éducatif et scientifique, lEurope est fort bien dotée, spécialement en recherche fondamentale, mais elle a plus de difficultés que les Etats-Unis à traduire ses progrès scientifiques en progrès technologiques, et à les traduire en innovations sur des marchés fortement compétitifs. Ce sont ses désavantages majeurs pour le long terme, car inventions et innovations, aujourdhui, sont les fruits dune exploitation rapide, sur les marchés mondiaux, des avancées scientifiques et technologiques.
Sur le plan financier, lEurope est fortement engagée dans les flux dinvestissement direct à létranger, notamment par lachat de firmes américaines, et par des alliances stratégiques avec elles.
Elle accueille aussi un flux important dinvestissements américains. Son système financier est puissant, et elle joue souvent le premier rôle dans le montage des financements internationaux et les négociations dobligations internationales. Mais ses institutions financières de financement du risque, marchés dactions, organismes de capital-risque, management financier, restructuration par les « banques dinvestissement », évaluation et conseils stratégiques, sont moins puissantes.
Sur le plan commercial, lEurope est le premier acteur du commerce mondial.
De 2000 à 2002 ses exportations représentaient de 16 % à 14 % de son PIB, à peu près autant que ses importations . Les Etats-Unis nexportaient que 10 % à 9 % de leur PIB mais importaient 15 % à 13 %. Lunion Européenne a une compétence pour la politique commerciale commune, qui lui permet de négocier en position de force avec les EU. Elle a un réseau très important de firmes multinationales, parfois les premières, très souvent bien placées, et elle est très active par ses investissements internationaux. Mais sa fragmentation institutionnelle et économique la tient encore éloignée des avantages déconomie déchelle dun véritable « marché unique » ; quoique les nouvelles formules de gestion en réseau, à léchelon international, lui permettent de compenser en partie ces désavantages de marché. En matière dactivités de services, elle partage le pouvoir international avec les Etats-Unis.
Dans la négociation internationale actuelle de lOrganisation Mondiale du Commerce, leurs stratégies sont solidaires, sauf sur les biens "culturels et sociaux ".
A Cancun, elles sont même, partiellement, solidaires dans les discussions sur la protection accordée à lagriculture dans chacune des zones, qui irritent tant les pays en développement.
Malgré des positions et des politiques favorables au développement durable, certaines politiques européennes handicapent les relations privilégiées et historiques de lEurope avec les pays en développement, alors que linfluence de ces pays dans les politiques commerciales mondialisées saccroissent. En revanche sur plusieurs dossiers de commerce international la contestation européenne des positions américaines est forte. Les intérêts respectifs sopposent sur la diffusion des organismes génétiquement modifiés dans lagriculture, ou sur les restrictions à lusage des technologies « hostiles » au développement écologique durable, ou sur le caractère non commercial des biens culturels et les limites humaines de lexpérimentation biotechnologique .
Les politiques de protection de la concurrence, qui sont des politiques européennes, lui donnent des moyens de négociation importants.
Pour assurer la discipline de la compétition, la Commission est amenée à intervenir dans tous les grands dossiers de lutte contre les positions monopolistiques, des grands groupes américains opérant avec des filiales européennes. Comme le vaste marché européen est un débouché inévitable pour toutes les entreprises engagées dans le commerce international, elle est en mesure dappliquer ses propres critères relatifs aux positions dominantes, et de bloquer de très importants projets de fusion, ou du moins dimposer ses conditions. Cest le cas, par exemple, pour le dossier en cours relatif aux positions monopolistiques des logiciels de Microsoft. Bruxelles conteste ses stratégies dintégration dautres logiciels ( accès à Internet, enregistrements musicaux, logiciels de jeux informatiques.). dans son logiciel Windows, ce qui limite sérieusement la concurrence dautres firmes.
LEurope construit ainsi, dans linteraction de ses valeurs et de ses intérêts, son modèle propre dinnovation, et par des alliances avec dautres régions de la planète, elle compte en renforcer linfluence.
Politiques de la science et de la technologie
Une des faiblesses en Europe est quelle " produit " plus de scientifiques quaux Etats-Unis, mais lincitation à lapplication des connaissances nouvelles y est moins forte, bien quen progrès remarquable. La distinction entre « science de base » et «science appliquée » saffaiblit, car les progrès de la science sont souvent le fruit dinnovations technologiques, et, malgré la pression à lapplication, les politiques scientifiques européennes doivent préserver la recherche scientifique fondamentale (11)
Les politiques nationales de science et technologie existent dans tous les pays, avec des performances de long terme très variables. Mais il est clair quaujourdhui cest à léchelle européenne, dans un « espace européen de la science et de léducation », doté dune forte mobilité des personnes et des moyens dinformation les plus modernes que les changements les plus efficaces doivent intervenir dans les secteurs de pointe (v. P. Cardot, dans D. Versailles et v.a, op. cit, chapitre 7). Depuis la mise en route du programme Esprit de lUnion Européenne, la recherche « précompétitive » coordonnée entre tous les acteurs de la recherche-développement, a donné de bons résultats. Les 6 derniers « programmes-cadres » de recherche technologique concertée ont fortement contribué à établir des liaisons et des échanges scientifiques et professionnels, entre acteurs et équipes nationales. Mais les efforts particuliers faits pour développer la recherche appliquée est, culturellement, moins naturelle quaux Etats-Unis: ce sera lobjet de la grande rencontre "Eurosciences " de 2004.
Cest dans chaque pays que doivent être développées les conditions pour une recherche scientifique et technologique , qui permettrait de "contester " dans le long terme la supériorité américaine, qui attire aux Etats-Unis tant de chercheurs européens. Cest un problème dorganisation et de normes scientifiques universitaires, de renforcement de la recherche-développement dans les entreprises, grandes et petites, darticulation entre recherche scientifique et professionnelle, dengagement politique, organisationnel et financier de la puissance publique permettant dassurer un « développement durable » et une exploitation rapide de connaissances nouvelles.
Pour la France, notre Ministère à la Recherche et aux Nouvelles Technologies a établi le bilan des efforts de recherche au 31 décembre 2002 (Mesures de soutien à linnovation et la recherche technologique).
Laccent est mis sur lincitation à la création dentreprises innovantes, telle que le crédit dimpôt-recherche, les partenariats entre recherche publique et les entreprises, les structures dappui technologique aux PME-PMI, et lintégration des jeunes diplômés dans les entreprises à la formation et à la recherche.
Conclusion : un nouveau " système dinnovation " en Europe
La contestation par lEurope de léconomie dominante américaine, à long terme, exige, avant tout, un accroissement de son potentiel dinvention scientifique et dinnovation.
Un système dinnovation est constitué par les cadres et normes dune société qui incitent les acteurs scientifiques et économiques à innover, et à diffuser les innovations, et qui les y aident. Il est un mode d «évolution » de la société, et a donc toujours un forte composante historique et culturelle, qui modèle ses institutions, les mentalités des agents, leurs interactions. Il détermine lintensité et le rythme des innovations, cest à dire la capacité dabsorption de ces innovations, et de leur rythme, par la société, et les moyens dapprendre à laccroître. Ainsi recherche-t-il en permanence un renouvellement de sa légitimation sociale.
Lamélioration de sa position sur ce plan est capitale et conditionne ses autres priorités et ses politiques. Précisément, les acteurs politiques, à léchelle nationale et européenne, ne cessent de le proclamer, mais les progrès sont trop lents parce que les structures et processus de créativité de base ne sont pas clairement remis en cause. LEurope devra développer un système dinnovation qui lui soit propre, et « praticable » (12). Elle pourrait ainsi sengager dans une nouvelle trajectoire exprimant plus clairement ses spécificités par rapport au modèle américain, plus conforme à ses valeurs et intérêts de long terme, plus explicite aussi sur les coûts dopportunité de cette trajectoire. Lenjeu est considérable.
Les processus et politiques dinnovation sont paradoxaux, car ils doivent concilier, de manière créative, des composantes à la fois contradictoires et complémentaires : un ELAN, avec ses visions et ses pulsions, un DESORDRE créatif, une DISCIPLINE dincitation et dorganisation. Dès 1992, le fameux séminaire de Santa-Fé, aux Etats-Unis, avait souligné que linnovation se développe toujours aux « marges du chaos »
Elle est un système spontané, adaptatif et vivant dont les composantes ne se mettent jamais en place sans pour autant se dissoudre en turbulences.
Les Etats-Unis vont sengager dans une nouvelle phase de croissance fondée sur son stock dinventions et dinnovations qui na cessé de croître, malgré la crise.
Mais 2003-2004 ne sont pas une copie de la " nouvelle économie ". LAmérique devra modifier son propre système dinnovation des années 1990 qui a engendré un potentiel remarquable dinnovations génératrices de forte croissance, mais au prix de dysfonctions dans ses équilibres financiers, qui risquent de mettre en question sa croissance durable, et, au cas de renouvellement de graves crises financières, celle du monde.
Pierre Tabatoni de lInstitut
Courtoisie de lAcadémie de la Paix et de la Sécurité Internationale
N O T E S
(1)- La forte croissance différentielle américaine des années 1990, a, on le sait, sa source dans ses inventions technologiques et ses innovations économiques. Celles-ci se sont développées depuis la fin de la guerre, et ont surtout concerné lorganisation et la gestion du traitement des données (systèmes dinformation), les communications, la biotechnologie et ses applications. Elle ont induit un rythme rapide de croissance des investissements, et une hausse marquante de la productivité, qui ont suscité de puissantes réorganisations industrielles et commerciales, et qui ont valorisé les actifs.
Depuis 1994 les taux annuels de croissance des investissements fixes américains ont été de: 7, 3 % ;
5, 4 % ; 8, 4 % ; 8, 8 % ; 10, 2 % ; 7, 8 % ; 6, 7 %, et en 2001, - 0, 9 %. Les performances de lUnion Européenne ont été moins brillantes: 2, 6 % ; 3, 5 % ; 2, 4 %; 3, 5 % ; 6, 9 % ; 4, 9 % ; 4, 7 % ; et 0, 1 %. Les organismes spécialisés de « capital-risque », disposant de capitaux provenant dagents prêts à prendre des risques, ont assuré le démarrage des investissements, et, le plus souvent, conduit les firmes jusquau marché, en loccurrence le Nasdaq, bourse des nouvelles technologies. Sur le Nasdaq, lindice des cours des actions a été ainsi multiplié par 6 du début de 1996 jusquau début de 1999, alors que les cours des actions de firmes moins engagées dans les nouvelles technologies nont été multipliés que par 2, 5. LEurope sest engagée dans la même voie, avec quelque retard du fait du développement insuffisant de ses organismes de capitalrisque, et dune moindre incitation à lapplication des découvertes : les cours des valeurs technologiques ont cependant aussi été multipliés par 6 entre 1995 et 1999.
La hausse des cours des actions na été quune des formes daccroissement de valeur des actifs, et denrichissement ; celle des bien immobiliers a été particulièrement forte après la crise boursière. La valorisation du patrimoine a influencé la demande des consommateurs et accru leurs capacités dendettement, avec des effets indirects daccélération sur les investissements. Les banques et institutions financières ont été incitées à sengager dans des placements plus risqués (prêts et actifs boursiers).
Léconomie dinnovation, économie de crédit, a donc produit des « bulles » financières par spéculation à la hausse des valeurs (actions, obligations, biens immobiliers, art), qui ont été au coeur de la dynamique de la demande. Pour faciliter les comparaisons internationales, compte tenu de linflation différentielle, on peut observer lévolution des cours réels des actions, inflation déduite. Aux Etats-Unis ils ont été multipliés par 5 de 1980 à 1998, avec une forte accélération dans les années 1990. Le mouvement a été suivi en Europe, mais de façon diverse. Le multiplicateur en Suède et en Irlande a été de 6, aux Pays-Bas de 5, mais plus faible en France, de 4, et de 2 S % en Grande-Bretagne, Allemagne, et Italie. Dans lensemble, les cours des actions dans les pays industriels ont augmenté plus vite que les profits dentreprise, du fait danticipations optimistes généralisées et dun excédent de liquidité créé par les systèmes monétaires.
Aux Etats-Unis, le rapport « cours sur bénéfices » (price-earning ratio, P/E), qui était au niveau 8 en 1975, et 15 au début de 1990, est passé à 32 en 1999, et même 38,2 dans le secteur manufacturier. Ce P/E dépend des gains anticipés et de la prime de risque demandée par les investisseurs. Un ratio P/E de 15, qui correspond à la moyenne générale des actions 1950-1999, induit un taux de rendement de 7 % lan, soit le rendement moyen des actions depuis 1945, et même depuis plus longtemps. Le ratio observé en 1999 dans lindustrie, ne donne quun rendement réel du capital de 3 % ; cest dire que les cours étaient- surévalués par rapport à la tendance, même si les innovations financières avaient réduit la prime de risque. Un ratio de 30 en 1999 implique que la croissance attendue des gains réels devrait excéder de 25 % à 50 % celle réalisée entre 1990 et 1995, anticipation très optimiste et dont la réalisation dépendrait de laugmentation du taux de croissance de la productivité liée à linnovation. LEurope a été plus modérée , avec un P/E en 1999, de 29 en Finlande, 27 aux Pays-Bas, 24-25 en Grande-Bretagne et en Italie, 20 en Allemagne, en France et en Suède. Seul le Japon a eu des rapports ayant oscillé entre 60 et 80 pendant les années 1990, et de 67 en 1999.
La hausse des cours accroît la capacité de crédit des entreprises, et fait baisser le coût du nouveau capital collecté, par rapport à lancien. Le rapport « q » de Tobin, augmente, ce qui est favorable à linvestissement ; il a ainsi crû de 75 % entre 1992 et 1998. Cette hausse des cours incite aussi à la hausse de la demande des consommateurs, car la valeur réelle de leurs actifs augmente. Laccélération de la croissance a dautre part engendré une hausse des salaires. Le gain horaire, aux Etats-Unis, a augmenté de 2, 5 % lan en 1995 à 3, 8 % en 2000.
(2)- Léclatement de la bulle boursière et la crise économique 2000-2003?.
La crise américaine a été exceptionnelle par le contexte exceptionnel des quatre chocs qui lont marqué :
(1)Lattaque terroriste du territoire américain le 11 septembre 2001, a mis au premier plan les problèmes de sécurité à long terme et engagé une politique budgétaire dans un fort déficit.
(2) Les scandales financiers de 2002 mettant en cause lhonnêteté dentreprises industrielles et dinstitutions financières mondialement connues, ont révélé les difficultés de la régulation financière, et les limites de léthique dentrepreneur.
3) Lengagement militaire en Afghanistan et en Irak, avec ses incertitudes sur lissue rapide des opérations et sur laprès-guerre.
(4) Du fait de la coïncidence des cycles économiques dans les économies industrielles, et de linterdépendance des économies, la crise sest immédiatement généralisée, ne permettant pas de soutien de la conjoncture par lEurope et lAsie.
Léclatement de la « bulle » qualifiée de « bulle Internet » a marqué un brusque effondrement des nombreuses petites firmes créatrices (les start-ups, ou nouvelles pousses). Celles ci ont joué un rôle essentiel pour diversifier les services Internet offerts aux consommateurs et aussi aux grandes firmes de télécommunication du monde, qui se sont engagées dans la mise en place très coûteuse des nouveaux réseaux de téléphone mobile. Cet élan technique et passionnel, a engagé les firmes et lensemble de la communauté des investisseurs et de leurs agents, à prendre des risques trop importants, mal appréciés, et à faire des erreurs stratégiques de marketing et de financement. La généralisation des distributions d«options dactions », les stock-options, aux dirigeants et cadres les a, pour une part au moins, incités à prendre plus de risques, en vue de maintenir les cours des actions à la hausse, et a poussé certains des acteurs les plus éminents à la fraude et à des comportements immoraux.
Bref la crise a fait retomber sur terre un bon nombre de ces « Barons de Krach » qui, comme dans le célèbre conte, entendaient sélever en tirant sur leurs lacets ( boostrap levitation).
Elle a donc été une crise de « sur-investissement », avec une forte chute de la rentabilité espérée, et des capitaux risqués. On l a plusieurs fois observé dans lhistoire, par exemple celle des chemins de fer et de lélectricité. Presque toutes les crises daprès 1945 ont comporté de forts réajustements des investissements, et depuis 1973 cette chute des investissements a contribué pour moitié aux phases de dépression cycliques. La bourse ne pouvait que réagir vivement lorsque les investisseurs ont compris que le mirage de la forte croissance portée par les innovations, était devenu flou. La correction boursière sur lindice Nasdaq Comp a été rapide et sévère. De son sommet au niveau 5048 à la fin de 1999, lindice a chuté à 1114 fin octobre 2002, soit une baisse de 77 %. En août 2003 il est remonté à 1652, entraîné à nouveau par de « grands noms » de la technologie.
Le taux de croissance annuel du PIB réel américain qui était de 4, 1 % en 1999, et 3, 8 % en 2000, a chuté à 0, 3 % en 2001. La crise économique a été forte, mais nullement comparable à celle de 1929, où la production américaine avait baissé de 30 % de 1929 à 1931, de 26 % en Allemagne, de 15 % au Japon, de 10 % en France et de 0, 5 % en Grande-Bretagne. La « récession » au sens technique avait cessé en novembre 2001, mais 2002 a été incertain. Cependant, du fait du soutien de la consommation, de la baisse des impôts, des facilités extraordinaires du crédit qui ont entraîné 11 baisses des taux dintérêt commerciaux ( effets à 3 mois) de 6 % au début de 2000 à 1, 8 % à mi 2002, et du relais assuré par la hausse foncière, lannée 2002 a enregistré une hausse du PIB réel de 2, 4 % environ.
Une reprise est attendue pour fin 2003 et surtout en 2004. Elle semble, à nouveau, trouver sa source dans les innovations qui nont cessé de saccumuler depuis, et même de saccélérer, comme cest souvent le cas dans les phases dépressives. Les facilités monétaires, la relance budgétaire publique, soit la forte hausse des dépenses militaires et la baisse des impôts, exercent leurs effets de relance en 2003, comme la fait la dépréciation du dollar sur le soutien des exportations. La reprise peut être forte, sans doute moins quen 1993, mais son approfondissement reste douteux.
Dans la zone euro, les mêmes phénomènes se sont manifestés, accusant leffet dépressif du cycle. Le taux de croissance du PIB réel, 3, 5 % au début 2000, a baissé à 0, 8 % en 2001, et à 1, 3 % à mi 2002. Les perspectives de 2003 comptent surtout sur la reprise américaine. La récession sest installée depuis deux ans en Allemagne, aux Pays-Bas, en Italie, et léconomie française risque dêtre stagnante en 2003. Contrairement aux grandes facilités monétaires accordées aux Etats-Unis dès lapparition de la crise, la Banque Centrale Européenne, pour des raisons spécifiques et statutaires, a maintenu ses taux dintérêt à 90 jours à un peu plus de 4 % en 2000 et 2001, les ramenant seulement à 3 % à mi 2002, malgré des perspectives dinflation faible.
(3) Ces déficits expriment, dans la phase dexpansion, lexcès des dépenses dinvestissement par rapport à lépargne nationale devenue insuffisante compte tenu de laccélération du rythme de croissance. Daprès la BRI, le déficit public des Administrations, une « désépargne » publique, sest fortement accru. La dette des entreprises, par rapport à leur valeur ajoutée est restée à peu près stable autour de 70?0%, et autour de 40-50 % de leurs capitaux propres. En revanche celle des ménages, par rapport à leur revenu disponible est passé de 80 %, environ, à 110 % en 2002. Les situations européennes et japonaises ne sont pas meilleures. Dans la zone Euro, lévolution, depuis 1990, du solde budgétaire a suivi, plus modérément celle des EU, alors quau Japon la dégradation budgétaire a atteint 8% du PIB en 2002. La dette des entreprises européennes na cessé de croître par rapport à leur valeur ajoutée, jusquà 160 %, bien supérieure à celles des EU, et du Japon. La dette des ménages européens a cru légèrement jusquà 75 % de leur revenu disponible, bien moins que celle des japonais qui frôle les 130 %.
(4) Plus grande est lavance technologique des américains, anticipée en hausse, plus forte est lélasticité de leurs exportations, recherchées par les étrangers comme un moyen daccroître leur productivité, ou de profiter de produits ou services disponibles et de meilleure qualité. Encore faut-il que lélasticité de leurs propres importations ne dépasse pas celle de leurs exportations, ce qui est souvent arrivé. Pour linstant les banques centrales asiatiques, sefforcent de retarder ou bloquer la dépréciation possible du dollar par rapport à leur monnaie. Les européens, dont les perspectives de croissance ne sont pas optimistes, ne seront pas la source dimportations accrues de produits américains; tout dépendra de lévolution comparée de leur croissance. La reprise de léconomie japonaise est à peine amorcée en 2003, et les américains importent un important volume de produits japonais. En bref les perspectives dexportations américaines dépendent fort de la croissance dans le monde, capable dabsorber leurs nouveaux produits. Mais léconomie dominante et globalisée fait largement concorder les variations cycliques, réduisant les possibilités de compensation.
En ce qui concerne le compte capital, qui retrace les mouvements de capitaux, les investisseurs peuvent se demander si le rendement de leurs placements en dollars sera suffisant pour compenser les risques dinvestissement dans un pays qui sendette de plus en plus. La baisse de valeur des actifs en dollars, suivant une dépréciation du taux de change réel, accroît les rendements anticipés de capitaux étrangers qui pourraient être placés en obligations aux Etats-Unis. Mais des baisses du dollar entraînent aussi des pertes sur les actifs en dollars détenus par des étrangers, et peuvent les inciter à diversifier leur portefeuille étranger, par exemple en substituant des euros aux dollars. Tout dépend de leurs anticipations sur lattractivité comparée des placements en dollars et en euros, des différentiels de taux dintérêt, de taux de profit, du taux de change, qui orientent les flux de capitaux. Les entraînements psychologiques jouent un grand rôle.
(5) Aux Etats-Unis, daprès la revue Forbes, 61 % des cent premières firmes répertoriées entre 1917 et 1987, avaient cessé dexister. Des 500 sociétés composant lindice boursier S-P 500, en 1957, seules 74 figuraient dans lindice de 1997. La survie moyenne des firmes figurant dans cet indice général était de 65 ans en 1928, 55 ans autour de 1950, 25 ans vers 1965, 15 ans en 2000, et la tendance pointerait vers 10 ans. Aujourdhui les investissements colossaux faits par lindustrie des télécommunications dans la mise en place des réseaux ADSL pour le téléphone mobile, ont été la cause principale de son endettement et de sa grave crise. Ils sont contestés par une nouvelle technologie de télécommunications radio sans-fil, desservie par des antennes locales beaucoup moins onéreuses
(6) - Lappropriation de linnovation est considérée par les économistes comme une forme stratégique dincitation aux innovations puisquelle assure des positions monopolistiques temporaires . La « propriété intellectuelle » (brevets, marques, droits dauteur, licences..) est une forme essentielle. Mais sa complexité et les difficultés de mise en uvre nen font pas linstrument le plus usuel. En fait toutes les méthodes de stratégie de produits et de stratégie commerciale, les stratégies de réseaux et dalliances stratégiques ayant pour but de partager les efforts dinnovation et leurs risques, donnent à des entreprises des avantages monopolistiques plus ou moins durables. Elles leur permettent de se positionner sur les marchés, en retardant larrivée des concurrents. Les innovations américaines dans les méthodes de gestion stratégique centrées sur les goûts et demandes « personnalisées » des clients, leur permettent de « segmenter » leurs marchés, et de fidéliser leur clientèle, ce qui leur donne des avantages dappropriation.
La compatibilité entre lapplication du droit de protection de la concurrence, et les innovations commerciales et managériales est plus ou moins poussée. Elle comporte plus ou moins dincertitudes, selon les pays. La jurisprudence des brevets, marques, droits dauteurs, est devenue très complexe et diverse selon les pays, faute dun instrument international adéquat. Paradoxalement, les Etats-Unis et la Grande Bretagne, dans leurs lois et leur jurisprudence, sont plus favorables à la protection des brevets, considérés comme incitations à linnovation, alors que les pays européens et lUnion Européenne, sont moins positifs, et se préoccupent plus de ses effets sur la diffusion de linnovation. Partout les textes et les jurisprudences évoluent vite, et lincertitude sur le droit de propriété saccroît. Les divergences des pratiques juridiques nationales, qui sont la base du droit des brevets, compliquent encore le problème.
La position américaine en « brevets » est écrasante. Le rapport EU/Japon est de 4, 05, mais avec lUnion Européenne il atteint 11, 13. Aux Etats-Unis, le flux annuel était de 150 000 brevets en 1999-2000. En outre, le taux de croissance le plus élevé, de 1965 à 1988, a été celui des brevets pris par les universités, dont le nombre a presque été multiplié par 9, surtout dans le secteur de la santé, chimie, électronique, optique. La recherche universitaire a représenté, en 1991, 11,4 % de la RD totale aux Etats-Unis. Mais 65 % est de la recherche de base, 30 % de la recherche appliquée et 5% du développement. Cette augmentation relative du nombre de brevets universitaires a été plus rapide que celle de lensemble des brevets industriels, et même beaucoup plus rapide que la croissance des dépenses de R-D des universités. Le fait est dautant plus notable que pendant cette période les brevets dorigine industrielle ont relativement stagné, ce qui implique un transferts technologique accru des universités aux entreprises. Mais laccroissement de ces brevets universitaires, impliquant un plus grand nombre dinstitutions, a entraîné plus de dispersion dans la qualité des brevets. Dautre part une faible fraction de ces brevets était directement exploitable commercialement, les recherches universitaires étant peu orientées vers des activités de développement de produits commercialisables, ce qui reste la mission de lentreprise. Malgré cette attitude que lon retrouve en Europe, ces travaux scientifiques aux Etats-Unis ont fourni une partie notable des bases scientifiques de la révolution technologique.
(7) Aux Etats-Unis, les entreprises ont le plus fortement investi en recherche-développement, des sommes représentant de 10 % à 45 % de la valeur des ventes. En 1997, la première firme sur la liste, dans le secteur des biotechnologies, Genentech, a consacré à la RD 45 % de son chiffre daffaires, les entreprises pharmaceutiques les plus innovantes environ 28%. Pour les composants électroniques et les logiciels, le niveau de leffort en RD était de 17 % à 19 %, 16 % dans le secteur des téléphones, 13 % pour les équipements dordinateur, 12 % pour ceux des télécommunications, 11% à 10 % pour les instruments médicaux. Dans lenvironnement de San Francisco, à Biotech-Bay, il y a un « amas », cluster, de 142 firmes, et autour de luniversité de Californie à San Diego, environ 94 firmes, fin 2001. Ses institutions médicales , la clinique Scripps et lInstitut Salk rayonnent sur le plan scientifique et commercial, et les grandes sociétés pharmaceutiques comme Johnson et Johnson, Merck, Novartis, Pfizer, y ont installé leurs laboratoires. Autour des universités dHarvard et du MIT, à lEst, on compte 141 entreprises innovantes. En Europe nous avons des « mini-amas » autour de luniversité de Cambridge, ou dUppsala par exemple.
(8) Pensons à linvention en 1965, par Gordon Moore, co-fondateur dIntel, des transistors et composants électroniques, à leur développement en microprocesseurs, en micro-informatique et ses logiciels, à la numérisation des données, aux réseaux Internet et Intranets, et à tous les services Internet, aux communications sans fil par téléphone et aux connexions radio entre ordinateurs, en bref tout le secteur des technologies dinformation, TI. En 1999, lAmérique réalisait 30 % de son investissement dans ce secteur. Elle produisait 54 % des logiciels qui font fonctionner les systèmes. Sur tous les produits et services TI, les Etats-Unis et le Japon en contrôlaient la moitié, et lEurope moins du tiers. Sur une production mondiale de ces produits de 845 milliards de dollars les Etats-Unis assuraient 320 M, soit 38 %, le Japon 26 %, lEurope 24 %, dont le tiers environ, soit 8 % du total, produit par lAllemagne, la Grande-Bretagne, la France, lItalie. Pensons aussi aux innovations en biotechnologie depuis la découverte il y a cinquante ans de la double hélice biologique par J. Watson et F. Crick, et à leurs développements en « génomique, transcriptonique, protéinique, glycomique, métabolinique.. » qui ont révolutionné les remèdes, les soins, lagriculture
et la réflexion culturelle. La nouvelle révolution générale des nanotechnologies est pleine de promesses.
(9) La productivité est un indicateur de rendement : par exemple la productivité du travail, «production par heure ouvrée ». Mais dans une perspective de croissance cest la hausse, ou la baisse annuelle de la productivité qui nous intéresse. Par exemple aux Etats-Unis, le taux moyen daugmentation, par an, de la productivité moyenne du travail (PMT), comme le taux de croissance du PIB, ont évolué comme suit :
:
1948-1973 1973-1990 1990-1995 1995-2000
PIB 3, 99 % 2, 86 % 2, 36 % 4, 08 %
PMT 2, 82 % 1, 26 % 1, 19 % 2, 11%
On constate la forte accélération de la PMT en 1995-2000.
A titre dillustration, une accélération de la croissance de la « productivité totale des facteurs » de S % accroîtrait, aux Etats-Unis, en 2006, de 3, 2 % du taux de croissance du PIB réel, et de 7, 9 % pour linvestissement réel.
Dautres chiffres, selon leurs critères spécifiques, sont disponibles. Leurs comparaisons nous intéressent spécialement. Ainsi une étude récente, en 2003, de la revue Conjoncture de la banque BNP-Parisbas, sur la base de recherches de lOECD, a comparé les taux de croissance annuelle de la productivité du travail, mesurée par la production par personne employée, et par heure travaillée :
Zone EuroEtats-UnisZone EuroEtats-Unis
Production par personne employée Production par heure travaillée
1982-198921,42,61,2
1990-19951,71,22,31,2
1995-20011,11,71,72
Ce tableau est commenté dans le texte.
Depuis la crise, aux Etats-Unis la hausse de la productivité a repris sa course, atteignant à nouveau 3 % de croissance au début 2002. Daprès les calculs du Bureau des Statistiques du Travail (BLS), au premier trimestre 2002, elle a augmenté, sur une base annuelle, de près de 9 %, puis elle a évolué comme suit pour les trimestres suivant: 2002- T 2 : (1 % ); T 3 : (6 %) ; T 4: (1, 8 %); 2003 T 1° (2 % ); T 2 : (5, 7 %). Mais le chômage a augmenté, comme en Europe. Bien que la crise ait très fortement affecté les secteurs des télécommunications et des services informatiques, cest la poursuite, plus prudente, de lapplication des nouvelles technologies dinformation, qui a soutenu la hausse de la productivité pendant la crise.
Dans la Zone Euro la productivité (production par employé) qui avait augmenté à 2 % en 1999, avait une croissance nulle au début de 2002, et ne semble guère sêtre améliorée depuis 2002. En Allemagne cette croissance de la PPT, qui avait été nulle en 2001, a atteint 1, 5 % fin 2002. En France le taux est resté négatif de mi-2000 à mi-2001, et sest redressé fin 2002 à 1 %.
(10) - De manière plus précise, D. W Jorgenson a calculé que l « intensification du capital », imputable à une utilisation plus intensive dordinateurs, a joué le plus grand rôle dans la hausse annuelle de la productivité. Ainsi en 1995-1999 laccroissement annuel de la productivité du travail soit 2, 11% en moyenne, a été imputable, pour 0, 89 %, aux nouveaux investissements TI, soit 42 % du total. De 1973 à 1990, ces investissements navaient contribué que pour 28 % environ. Lamélioration de la qualité du travail na contribué que pour 6 % environ.
(11) - LEurope a pris du retard, quelle comble assez rapidement dans le développement des réseaux Internet et leur usage. Les retards aujourdhui sont moins dans lintensification informatique et les investissements dans lInternet, que dans leur utilisation efficace pour accroître la productivité dans toutes les activités. Le problème est que lutilisation productive des nouvelles technologies de linformation exige des restructurations et rationalisations, des redistributions de rôles et de pouvoirs, et une flexibilité de lorganisation elle même. Ces difficultés existent aussi aux Etats-Unis, mais notre système organisationnel et économique est plus rigide.
(12) -La révolution industrielle, système dinnovation historique remarquable sest développée différemment, en dépit des imitations, en Angleterre, Allemagne, Belgique, Japon, Etats-Unis, France. A la fin du 19 ème siècle, lAngleterre aristocratique a donné le pas aux activités commerciales et financières, centrées autour de la « City »; cela a limité son expansion industrielle au profit de lAllemagne et de lAmérique, et a été la source des déséquilibres ultérieurs de la Livre Sterling qui ont prolongé sa dépression. Le Japon a puisé dans sa culture dobédience, de minutie, dépargne, dexceptionnelles capacités de rattraper son retard sur les pays industriels en une trentaine dannées, mais son système a trouvé ses limites dans les années 1990. LAmérique, créatrice et individualiste, habitée par l«esprit de frontière », est entrée dans lindustrie dans lanarchie et avec fougue, inventant les « trusts » pour concentrer et diffuser linnovation. LAllemagne de Bismark, dans sa volonté de puissance et avec ses atouts scientifiques et industriels, a vite rattrapé lAngleterre. Elle a développé un système dinnovation particulier appelé plus tard le « modèle Rhénan », mais la contagion de la « nouvelle économie » la remis en cause sans pouvoir produire encore un nouveau système aussi performant. De nos jours, linégale diffusion de lusage des nouveaux systèmes dinformation reflète les différences culturelles et institutionnelles : en Europe ce sont les pays scandinaves qui sy sont engagés le plus rapidement.
Des politiques dinnovation, en vue de son « organisation » sefforcent toujours de « discipliner » cette turbulence latente, dinciter, de coordonner, daider, dans des « politiques scientifiques et industrielles », dans les programmes de R-D. Mais les complexités des motivations humaines et des intérêts acquis, le hasard et lopportunité influencent toujours le déroulement du processus et ses résultats.