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Jean-Marie Gabriac
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Résumé : Les entreprises japonaises
appartiennent souvent à un Keiretsu
et se caractérisent ainsi, par rapport à
leurs homologues du reste du monde,
par un mode de gouvernement assez
particulier. Bien qu’elles soient cotées,
elles sont généralement contrôlées
par des banques principales qui
sont à la fois actionnaires et créancières.
Les implications de ce système
sont nombreuses et se traduisent par
des problèmes d’information asymétrique
et de risque moral moins aigus
entre les différentes parties prenantes,
un taux de faillite plus faible des
entreprises et des banques et par des
décisions dont l’horizon est à plus
long terme.
Synthèse du Dossier de Recherche
Depuis quelques dizaines d'années, le marché de capitaux et les intermédiaires
financiers sont considérés par la théorie financière comme
deux modes alternatifs de financement et de contrôle ; on a ainsi très
peu parlé de leur possible complémentarité. Il est d'ailleurs vrai que le
développement des marchés financiers observé dans plusieurs pays
s’est accompagné de réglementations très strictes voire parfois contraignantes
pour le développement des intermédiaires financiers en général
et des banques en particulier.
Le Glass-Steagall1 Act et le Mac-
Fadden Act sont deux exemples concrets de restrictions qui handicapent
sérieusement les banques américaines (ou étrangères installées aux
États-Unis) dans l'exercice de leurs activités.
En France, le développement
du marché de capitaux au début des années quatre-vingt a entraîné
aussi une désintermédiation accrue et une marchéisation des emplois
et des ressources bancaires.
En Allemagne, les banques universelles
jouent un rôle prépondérant dans le contrôle des firmes, alors que le
marché se limite dans la plupart des cas au transfert de quantités plus
ou moins importantes d’actions entre les investisseurs. Au niveau international,
et pour ne s'intéresser qu'aux pays développés, le Japon apparaît
être le seul pays qui a su harmoniser ces deux modes de contrôle
externe et interne à travers la constitution de groupes, appelés Keiretsu,
dont le fonctionnement est assez particulier.
Le trait marquant dans ce
pays est que le développement du marché des capitaux a vu le jour en
parallèle avec le renforcement de l'intervention bancaire. Cette caractéristique n'est pas, à notre avis, sans conséquence sur le mode de gouvernement des entreprises japonaises et donc sur leur performance.
Cet article se limite à la description des principales caractéristiques
du système de gouvernement des entreprises japonaises membres d’un
Keiretsu. Dans la première section, nous tenterons d’élucider la nature
des relations qui existent dans ce pays entre les banques et les firmes.
Ces liens sont notoirement favorisés par un contexte économique et
culturel bien particulier. L’objectif de la deuxième section est de montrer
que malgré le monopole des banques en matière d’appropriation des
titres, le développement du marché des capitaux ne semble pas être
compromis. Dans la troisième section, nous essaierons de comprendre
comment le cumul des rôles d’actionnaire et de créancier par une
même institution peut être propice à l’investissement spécifique.
Enfin,
nous tenterons, dans la quatrième et dernière section, de lever certaines
ambiguïtés sur les similitudes apparentes entre le système de gouvernement
des entreprises japonaises et celui de leurs homologues allemands,
les deux pays étant dotés d’un système financier dominé par les
banques.
1. Un paysage financier favorable aux banques
C'est lors du passage des Zaibatsu aux Keiretsu que les banques
japonaises ont pris une ampleur qui dure encore actuellement. L'ouverture
des capitaux des firmes japonaises au public vers la fin de la
deuxième guerre mondiale a permis aux banques de se porter acquéreurs des titres et de prendre ainsi volontairement le contrôle de plusieurs
entreprises cotées en bourse. Ces participations financières se
sont accompagnées de la mise en place de liens mutuels rendant la
structure des groupes très complexe et très solide. Malgré les profondes
évolutions qu'a connues le pays, le paysage financier n'a pas beaucoup
changé et la mission accordée aux institutions bancaires et parabancaires
est toujours d'assurer l'interdépendance des sociétés du groupe par
le biais de participations minoritaires croisées.
Parmi ces institutions, on
trouve une banque, le plus souvent une city bank, qui détient la partie
majeure du capital, appelée main bank (banque principale) et qui est
responsable du bon déroulement des affaires et par suite, a le pouvoir
d'exercer, à chaque fois que cela s'avère nécessaire, un contrôle ferme
sur les dirigeants.
Toute entreprise membre d'un Keiretsu entretient des
relations très étroites avec la banque principale, mais n’est pas, pour autant,
empêchée de se financer auprès d'autres établissements bancaires
(souvent actionnaires également) lorsqu'il s'agit, par exemple,
d’entreprendre un grand projet d'investissement dont les besoins financiers
dépassent les moyens d'une seule banque. Dans ce cas, la banque
principale joue un rôle de chef de file dans un consortium constitué de
plusieurs banques. Le plus souvent, ces banques n’interviennent ni dans
la sélection des emprunteurs, ni dans le choix de la durée des prêts, ce
qui implique alors des transferts de risques entre établissements financiers.
Notons aussi que chaque entreprise, membre du groupe, détient, le
plus souvent, des participations dans les autres entreprises appartenant
généralement à des secteurs d'activité différents formant ainsi un noyau
protégé et limitant le risque par diversification. Les participations croisées
entre les firmes, de même type que celles observées dans les autres
pays développés, peuvent générer des comportements opportunistes
et des collusions contre les tiers (clients, fournisseurs, État...). Mais l'intervention
d'une banque au sein de laquelle les entreprises sont dépositaires
et en même temps actionnaires peut renverser la situation.
La
banque est “ singulière » puisque se réunissent en elle deux fonctions
principales jointes, celle de l’intermédiation et celle de la gestion de
moyens de paiement [T. Chevalier-Farat 1992]. L'enregistrement comptable
des différents moyens de paiement (chèques, traites, virements
bancaires, escomptes...) constitue une source d'information sans égale
sur les différentes transactions effectuées avec les tiers. Cette source
d'information est sans doute inaccessible aux autres parties prenantes,
toutes catégories confondues.
Au Japon, une banque peut prendre aussi
des garanties sur les fonds prêtés en retenant un pourcentage sur le
montant des crédits accordés. Les entreprises sont priées ainsi de mettre
en dépôt une part du montant emprunté. Les dépôts à vue et les dépôts
à terme peuvent, à l'extrême, constituer un montant compensatoire
que la banque peut geler et faire fructifier auprès d'autres entreprises
[M. Yoshimori 1987]. Notons à l'occasion que le taux de rétention n'est
pas réglementé mais fixé par une négociation bilatérale entre la banque
et l'emprunteur [M. Aoki 1990].
La solvabilité et la réputation d'une entreprise
sont, donc, deux facteurs qui peuvent influencer les décisions de
la banque pendant les différentes phases de négociation.
Il est peut-être important de noter qu'au sein des Keiretsu, les liens
qui unissent les sociétés d'un même groupe ne sont pas tous juridiques.
Les transactions informelles occupent traditionnellement une place importante
au sein des entreprises japonaises, mais on observe également
ce phénomène au niveau plus agrégé des groupes. Il y a donc un intérêt
commun à fonctionner ainsi. En effet, le contrôle mutuel entre firmes
constitue une base horizontale d'informations qui est de nature à réduire
le coût du contrôle bancaire [E. Berglöf, E. Perotti 1994].
Une banque
n'est pas obligée d’exercer un contrôle individuel et approfondi sur les
différentes entreprises du groupe : elle peut se servir des rapports que
ces dernières établissent pour s’informer. Un autre avantage pour les
banques est que ce mode de fonctionnement leur garantit une diversification
“ domestique » conduisant a priori à un faible risque systémique.
Cette diversification rassure ainsi les déposants sur l'utilisation de
leurs propres fonds. Le risque de la “ course aux dépôts » dépend du
jugement que font les déposants sur la solvabilité de leur banque. Il est
alors vraisemblable que les banqueroutes soient rares en raison de la diversification
des risques permise par la grande taille des banques et leur
accès relativement facile à l'information qui rend le contrôle plus efficace
et moins coûteux.
Les firmes ont aussi intérêt à permettre aux intermédiaires financiers
de siéger au sein de leur conseil d'administration. Elles peuvent ainsi réduire
les coûts de la dette en entretenant des relations plus étroites avec
leurs créanciers. Les agents extérieurs peuvent interpréter l'existence
de mandats relativement stables comme un moyen d'assurer un horizon
temporel plus long.
En dehors de ce caractère de signalisation, l'établissement
de relations de ce type permet de réduire les conflits d'agence
entre les actionnaires et les dirigeants. L'accroissement de
l’endettement est nécessaire pour améliorer la performance managériale
et l'efficience dans le choix des investissements [M.C. Jensen
1988]. L'obligation de faire appel régulièrement aux services de la banque
principale entraîne une contrainte financière supplémentaire que les
dirigeants ne peuvent négliger. L’opacité des engagements directs et indirects fait que l’intermédiation est légitimement reconnue, non pas
comme une activité autonome devant assurer sa rentabilité, mais
comme un mode de gestion et d’organisation au service de l’expansion à
l’intérieur des Keiretsu [M. Aglietta 1995]. (Plus de 120 000 entreprises ayant un actif au moins égal à 8 millions de dollars
déclarent avoir une banque principale.)
(Durant la période 1984-1995, on a recensé 7 faillites bancaires au Japon
contre 252 qui ont touché les banques commerciales américaines. Cependant, le
montant de créances douteuses au début des années 1990 est considérable et à
l’origine de la dégradation des performances des banques japonaises. Au cours
de l’exercice 1992-1993, la baisse des profits avant impôts aurait été de 32 %
pour les City banks, de 45 % pour les banques de crédit à long terme et de 27 %
pour les Trust banks.)Toutefois, la dégradation
des bilans bancaires au début des années 1990 a conduit à s’interroger
sur le degré d’infaillibilité du système financier japonais et sur ses
conséquences sur la performance financière des entreprises. Entre 1990
et 1993, J.K. Kang et R.M. Stulz [1997] estiment à 26 % la différence
de performance financière en faveur des firmes non endettées, comparativement
aux firmes à fort endettement bancaire. En s’interrogeant sur
l’identité de la banque prestataire (principale ou non), les auteurs trouvent
cependant que l’appartenance à un Keiretsu exerce un effet non
significatif de -4 % sur cette même performance. La perte de valeur
subie par les firmes japonaises pendant cette période de crise semble
plutôt due à un endettement excessif qu’au mode de gouvernement.
Les souscripteurs individuels étant souvent minoritaires ne peuvent
eux-mêmes suivre et contrôler l'utilisation de leurs fonds. Ils semblent
pourtant satisfaits de ce système car leurs intérêts ne sont respectés
[M. Aoki 1990].
Cette réalité est parfaitement cohérente avec la thèse
de R.T. Ramakrishnan et A.V. Thakor [1984]. Selon ces auteurs, l'intermédiaire
financier n'est qu'un “ abri » pour les agents moins informés
ce qui permet de remédier aux diverses failles des contrats directs. Les
investisseurs individuels se heurtent, plus que les banques, aux problèmes
de risque moral et de sélection adverse. Aucun d'eux n'a intérêt à
supporter les coûts d'une vérification qui profitera à tout le monde (problème
du “ passager clandestin »). Les intermédiaires financiers (banques)
constituent, toujours selon ces deux auteurs, une réponse aux échecs du marché dans le traitement de l'information. (Les souscripteurs individuels ne dét iennent qu'environ 30 % des titres émis
par les sociétés cotées [M. Aoki 1990]. Il faut dire aussi qu'au Japon, la détention
individuelle d'actions est pénalisée par des frais de courtage très élevés. Le
taux d’imposition appliqué aux particuliers sur le montant des dividendes perdus
est également élevé. Il est de l’ordre de 35 % contre 31 % aux États-Unis
[K.L. Dewenter, V.A. Warther 1998].)
(Pendant la période 1963-1986, les souscripteurs individuels ont bénéficié d'un
taux réel après impôts sur le marché des actions de 11,7 % avec un écart type de
18,5 % [M. Aoki 1988].)
Le faible nombre
des actionnaires individuels fait que les dividendes n'ont aucune raison
d'être élevés et que la majeure partie des profits est mise en réserve par
les firmes. Ces facteurs favoriseraient une orientation des actions à la
hausse. Le mode de coordination horizontal qui existe entre les banques
et les entreprises influence la manière dont la contrainte de rentabilité
est appréciée par les actionnaires. La rémunération effective des actionnaires
se fait essentiellement par les plus-values sur actions et non
par les dividendes [J.E. Hodder, A.E. Tschoegel 1985]. La signalisation
par les dividendes se justifie dans un système où l'actionnariat est dispersé,
ce qui n'est pas le cas des Keiretsu. En étudiant le comportement
des entreprises en matière de distribution des dividendes,
K.L. Dewenter et V.A. Warther [1998] observent des différences majeures
entre les pratiques des entreprises japonaises membres d’un Keiretsu
et celles des entreprises américaines ou des entreprises indépendantes
japonaises. Dans le premier groupe, une amélioration des résultats
n’est pas synonyme d’un enrichissement immédiat des actionnaires,
qualifiés de “ patients ». En revanche, dans le deuxième groupe, la distribution
des dividendes représente un outil de signalisation couramment
utilisé.
Le mode de gouvernement des entreprises japonaises peut être
considéré aussi comme une stratégie intelligente pour contrer les intentions
étrangères, en général, et américaines en particulier, de pénétrer le
marché japonais. Les OPA ne sont pas interdites, mais sont rendues
difficiles par la complexité des relations nouées entre les différents
membres du groupe et orchestrées par la banque principale. Ce type de
système instaure donc une défense collective grâce à ce qu'on peut
nommer un pool de droits de vote [E. Berglöf, E. Perotti 1994]. (C'est sous l'influence américaine que le Japon a procédé en 1947 au démantèlement
des Zaibatsu. Cette action rentrait dans le cadre de ce qu'on appelle « la
démocratisation du marché des valeurs mobilières ». )
Les
membres du Keiretsu peuvent agir de concert contre un agresseur extérieur
et lui enlèvent ainsi tout espoir de prendre le contrôle, par le biais
de la bourse, de l'une des sociétés membres. Les dirigeants n'ont donc
pas à se préoccuper de la réaction du marché au jour le jour et peuvent,
au contraire, se concentrer sur le long terme.
Ils disposent, par rapport à
leurs homologues occidentaux, d’une marge discrétionnaire importante
et peuvent s’appuyer davantage sur les normes informelles pour gérer
et atteindre leurs objectifs. Les actionnaires individuels n'ont ni la volonté,
ni la possibilité de faire usage de leurs droits de vote lors de l'assemblée
générale [M. Yoshimori 1987]. Une émission d’actions réalisée par
un membre de Keiretsu est, à ce titre, vide de tout contenu informatif et
n’a donc aucun pouvoir de signalisation [J.K. Kang, R.N. Stulz 1996]. Il
faut dire aussi que le degré d’opportunisme qui caractérise les agents et
qui affecte le processus de création et de répartition de la richesse,
n’est pas indépendant de l’environnement socioculturel. Au Japon, il y a
une certaine “ socialisation » des individus (actionnaires, employés ou
dirigeants) soutenue par le sentiment d’appartenance à un même groupe
et garante d’une certaine convergence des objectifs. La menace d’un
contrôle formel semble donc moins nécessaire.
Toutefois, et malgré une absence virtuelle d’OPA, la rotation des dirigeants
est aussi importante que celle observée aux États-Unis
[R.G. Rajan, L. Zingales 1995] et semble directement liée à la performance
réalisée [S.N. Kaplan 1994]. Lorsqu’une entreprise affiche une
mauvaise performance, ce sont tous les membres du Keiretsu, en
concertation bien évidemment avec la banque principale, qui intervie nnent
au sein du conseil d’administration pour désigner les nouveaux dirigeants.
Cet esprit de concertation (horizontal) peut s’effacer pour laisser
la place à un mode de fonctionnement plus “ hiérarchique » (vertical)
dans le cas où une des entreprises tomberait en faillite. Le choix et
la nomination des nouveaux dirigeants s’inscrit dans le plan de restructuration
et de réorganisation et relève donc de la seule banque principale
truction du système financier japonais a été dictée par l’occupant américain en
1945.
[S.N. Kaplan, B.A. Minton 1994]. Cependant, les scandales qui ont agité
récemment les milieux des affaires nippons ont révélé certaines lacunes
de ce modèle. Les banques, principaux actionnaires, se sont trouvées
parfois au centre des polémiques. Ceci a conduit certaines entreprises
à repenser leurs systèmes d’incitation des dirigeants et à entreprendre
des actions normalement inhabituelles : utilisation d’options
d’achat d’actions comme mode de rémunération, recomposition du
conseil d’administration, nomination d’administrateurs externes...
En cas de difficultés financières graves, la banque principale se réserve
le droit d’intervenir dans la politique d’investissement et de recrutement
de la société en question. J.-K. Kang et A. Shivdasani [1997]
comparent 92 entreprises japonaises à 114 firmes américaines ayant
connu des difficultés entre 1985 et 1990. Ils constatent que les firmes
nippones, dans 23 % des cas, recourent moins que leurs consoe urs américaines
(50 % des cas) à la liquidation de leur patrimoine pour faire face
à leurs engagements.
Ce résultat est lié à la différence des modes de
gouvernement entre ces deux nations. Pour éviter la faillite, les banques
principales se trouvent parfois contraintes d’abaisser les taux d’intérêt
et de rééchelonner la dette des entreprises concernées. Ce jeu coopératif
assouplit le lien direct souvent établi par la théorie financière orthodoxe
entre le niveau d’endettement et le degré de risque de faillite
[M. Aoki 1990].
La restructuration des entreprises américaines se fait
souvent par des opérations de LBO ou de LMBO. La nouvelle équipe
dirigeante décide souvent de liquider une partie de l’actif pour faire face
au service de la dette ayant financé le rachat. J.K. Kang et
A. Shivdasani révèlent aussi qu’en cas de difficultés financières, les entreprises
japonaises recourent, encore une fois, moins que les entreprises
américaines (4,7 % contre 15 % des cas) à la réduction de leur effectif
salarié. Une explication, déjà avancée par M. Aoki, peut être donnée
à ce résultat.
Dans leur décision de restructuration, les banques
principales doivent tenir compte des droits de propriété des salariés sur
les actifs de la société. En effet, les salariés ont droit au paiement intégral
des indemnités de licenciement avant tout règlement des autres dettes
de la société. Par crainte de perdre le capital de leur prêt, les ban
ques préfèrent transférer certains des salariés de la société en difficulté
à d’autres sociétés sous son contrôle.
En comparaison avec les autres membres du consortium, la banque
principale supporte plus que proportionnellement le risque de faillite de la
firme endettée étant donné son implication directe dans le financement
et dans le bon déroulement des affaires. À partir d’un échantillon de 85
Keiretsu, S.D. Prowse [1990] trouve que les actionnaires majoritaires
sont eux-mêmes les principaux créanciers dans 55 cas et que les cinq
premiers créanciers (au vu du montant des créances) détiennent 49,8 %
des dettes et 18 % des actions.
La séparation de la propriété et du
contrôle n'est pas de même ampleur que celle observée aux États-Unis,
bien que les dirigeants japonais soient rarement propriétaires du capital.
La longévité des relations entre les membres du Keiretsu est synonyme
de l'importance et de la stabilité des relations internes et elle est, en
même temps, garante d'un échange mutuel et permanent d'informations
[R. Gilson, M. Roe 1993]. La rentabilité des Keiretsu est relativement
plus faible mais plus stable que celle observée dans les firmes indépendantes.
La relative faiblesse des résultats des entreprises japonaises affiliées
à un Keiretsu peut s’expliquer par le fait que les banques réduisent
leur potentiel de rentabilité en rémunérant les crédits qu’elles leur
accordent. Sur un échantillon de plus de 6 000 entreprises entre 1977 et
1986, D.E. Weinstein et Y. Yafeh [1998] trouvent, simultanément, une
relation positive entre la variable muette “ appartenance à un Keiretsu »
et le montant des intérêts et une relation négative entre cette même variable
muette et le taux de marge nette. Le taux d’endettement de ces
firmes semble être imposé par les banques actionnaires et il est probablement
éloigné de celui qui permettrait de maximiser leur valeur.
Ce manque à gagner pour les Keiretsu peut être considéré comme le
prix à payer pour garantir les fonds pendant les périodes difficiles et
pour suivre en permanence les dirigeants. Une banque non-actionnaire,
comme c’est le cas aux États-Unis, peut se satisfaire d'un contrôle minimum
qui lui permet de récupérer juste le montant des fonds prêtés.
Elle peut aussi être tentée d’acculer la firme à la faillite si la valeur de
liquidation est supérieure à celle des crédits accordés. La firme endettée
sera donc naturellement incitée à chercher uniquement la rentabilité à
court terme de façon à respecter les termes du contrat, renonçant ainsi à
entreprendre certains investissements rentables à long terme. La séparation
entre les prêteurs et les actionnaires accroît le risque de substitution
des actifs et limite, en même temps, le champ d'action des banques
ainsi que leur capacité à assumer leur rôle de contrôleur
[S.D. Prowse 1990]. Le risque de substitution des actifs ne peut logiquement
concerner les créanciers et les actionnaires au Japon, les deux
acteurs étant confondus. D’après D.E. Weinstein et Y. Yafeh [1998],
les banques principales empêchent les firmes clientes de s’engager dans
des projets très risqués (très rentables), offrant ainsi une autre explic ation
à la relative faiblesse, évoquée précédemment, des résultats des
Keiretsu.
Si les banques occupent une place particulièrement intéressante dans
l'économie japonaise, les autres intermédiaires n’en sont pas pour autant
exclus et jouent un rôle financier qui n'est pas de moindre importance.
Notons ainsi que les compagnies d'assurance peuvent être actionnaires
et détenir jusqu'à 10 % du capital d'une société. Ce système pourrait
pallier les inconvénients liés au financement exclusif par les banques
(pouvoir de négociation important, opportunisme, distorsions dans les
décisions d'investissement...). La présence d’actionnaires majoritaires
autres que les banques principales modifie la structure de gouvernement
des entreprises japonaises. Elle facilite, en cas de crise, la rotation des
dirigeants et accroît sensiblement la probabilité de nommer des dirigeants
externes [J.K. Kang, A. Shivdasani 1997]. La concurrence entre
établissements de crédit est également permise et permet aux emprunteurs
de négocier des conditions plus avantageuses.
Les entreprises
peuvent aussi, grâce au crédit interentreprises, se substituer aux inter-
médiaires financiers ; l'insuffisance des fonds propres incite souvent
les firmes japonaises à négocier des échéances de règlement éloignées.
(Le problème de substitution des actifs est considéré par la théorie de
l’agence comme l’un des problèmes majeurs qui peut compromettre les relations
entre les actionnaires et les créanciers.
Il naît quand les actionnaires substituent
aux actifs que les créanciers ont accepté de financer des actifs plus risqués.)
(En 1984, les compagnies d'assurance japonaises détenaient plus de 17 % de
l'ensemble des actions des firmes non financières, montant qui représentait trois
fois celui que détenaient leurs homologues américains [S.D. Prowse 1992]).
Les crédits interentreprises représentent ainsi un volume important dans
le bilan des sociétés nippones. Du point de vue des banques, le recours
aux effets de commerce est intéressant parce qu'il permet d'acquérir
des informations supplémentaires sur l'état de liquidité des entreprises ;
l'escompte des effets se pratique auprès des banques actionnaires qui
sont de ce fait au centre d'un véritable réseau constitué des entreprises
et de leurs principaux partenaires commerciaux.
Les entreprises japonaises ne se contentent pas de copier les produits
inventés par les autres pays développés. Bien qu'elles essaient de
tirer profit des transferts de technologies, elles deviennent de plus en
plus innovatrices ; le montant des frais de recherche et de développement
témoigne de leur souci de créativité. Il faut dire que le mode de
gouvernement des entreprises nippones favorise un climat de stabilité et
d'adaptabilité et encourage, grâce à la présence bancaire dans le financement,
l'investissement dans les actifs spécifiques. Cette réalité japonaise
confirme la thèse de O.E. Williamson [1988] qui lie la décision de
financement au degré de spécificité de l'investissement et aux comportements
des acteurs (rationalité limitée et opportunisme).
Cet auteur
propose d'analyser les dettes et les capitaux propres comme des structures
de gouvernance des coûts de transaction fonction de la nature
(spécifique ou non) de l'actif. On devrait associer la structure de gouvernance
qui procure le plus de flexibilité (capitaux propres) au financement
des actifs non redéployables (spécifiques). Il faut donc, si nous
suivons cette logique, adapter le mode de financement chaque fois que
la spécificité des actifs change. Ce changement n'est pas facilement
praticable et, si tel est le cas, il ne peut être que très coûteux pour l'entreprise
(problèmes d'agence entre créanciers et actionnaires, entre
nouveaux et anciens actionnaires, entre créanciers seniors et créanciers
subordonnés...).
Ceci montre donc tout l'intérêt du modèle japonais qui,
seul, permet de réduire les coûts d'adaptation (principale composante
des coûts de transaction) inévitables pour procéder, selon
O.E. Williamson, aux ajustements ex post. Ces ajustements permettent
de remédier, chaque fois que cela s'avère nécessaire, à l'inadéquation de
la structure financière aux caractéristiques des investissements.
(Cependant, l'insuffisance des fonds propres n'est pas synonyme au Japon
d'une fragilité financière [B. Bernanke, M. Gertler 1990]. La participation des
banques au capital des entreprises est garante de la stabilité de l'actionnariat et
de la dette.)
Dans les pays anglo-saxons, l'émission de nouvelles actions pour financer
un actif non redéployable peut induire des problèmes de signalisation
: les actionnaires en tant que “ créanciers résiduels » sont peu
sensibles à la liquidité des investissements et donc à leur spécificité. Les
firmes nippones indépendantes se heurtent aussi, comme leurs homologues
américaines, à de sérieux problèmes lors des émissions de nouvelles
actions [T. Hochi et al. 1991]. D. Flath [1993], en exploitant les
données disponibles de 1978 à 1980 d’un échantillon de 981 entreprises
japonaises indépendantes, trouve un lien positif entre l’intensité de la recherche
et développement (mesurée par le rapport entre les dépenses
en R&D et le chiffre d’affaires) et la structure de propriété.
Un fort
coefficient technologique incite les entreprises initialement indépendantes
à s’ouvrir aux banques et aux autres institutions financières en leur
proposant notamment une partie du capital. Y. Yafeh et O. Yosha
[1997] constatent que les Keiretsu dépensent moins en recherche et
développement que les entreprises indépendantes. Dans le même ordre
d’idées, les banques principales semblent exiger systématiquement des
garanties réelles sur les prêts accordés et ce malgré leur qualité
d’actionnaires. En étudiant la structure financière des entreprises appartenant
à des pays différents, R.G. Rajan et L. Zingales [1995] constatent
qu’au Japon, le caractère tangible des actifs détermine plus
qu’ailleurs le niveau d’endettement.
Entre 1987 et 1990, la variable proportion
des actifs corporels sur actif total, lorsqu’on la régresse sur la
variation du ratio d’endettement, a un coefficient positif de 1,41, significatif
au seuil de 1 %. Ce coefficient est largement supérieur à celui obMehdi
Nekhili 15
servé aux États-Unis (0,50), en France (0,53) ou encore en Allemagne
(0,42). Aussi paradoxal que cela puisse paraître, la confiance ne semble
pas être ce qui caractérise les relations entre les entreprises et les banques
au Japon. La crise de confiance, qui n’est donc pas nouvelle, est
devenue encore plus visible lors des difficultés financières récentes.
Préoccupées par l’assainissement de leurs bilans, les banques japonaises
ont dû, faute de fonds propres suffisants, liquider les actifs les plus
douteux, bloquer les crédits et abandonner les entreprises partenaires à
leur propre sort.
Existe-t-il un modèle de gouvernement germanonippon
?
Établir des similitudes entre deux ou plusieurs modèles peut paraître
hâtif et contestable car les résultats diffèrent souvent, selon le critère de
comparaison choisi. En matière d'intermédiation financière, le modèle
japonais peut être considéré comme proche du modèle américain si l'on
retient uniquement la séparation fonctionnelle très nette faite entre les
établissements financiers fondée sur le critère de la nature de financement.
Dans ces deux pays, les banques ont, par opposition aux banques
universelles allemandes, chacune une mission spécifique à accomplir
et donc une compétence relativement limitée18. Par ailleurs, certains auteurs
parlent du modèle germano-nippon pour rappeler que, dans ces
deux pays, la discipline des dirigeants se fait avec l'aide des banques qui
sont à la fois actionnaires et créancières. Le concept de la « banque-maison » (Hausbank), utilisé en Allemagne pour évoquer l'importance
et la nature des relations qui existent entre une entreprise et « sa » banque-
actionnaire, peut prêter à confusion avec celui, japonais, de la
“ banque principale ».
Malgré certaines apparences, les deux modèles
sont différent au moins à trois égards.
(Pour être universelle, une banque doit pouvoir effectuer neuf types
d’opérations énumérées dans la loi sur le crédit : la prise de fonds en dépit, le
crédit, l'escompte, les opérations sur titres, la conservation de titres (et aussi
des droits de vote) en dépit, le placement des fonds, l'acquisition et l'émission
d'obligations, la garantie et le virement.)
(Il existe au Japon une stricte séparation entre les métiers bancaires et non
bancaires. Cette séparation est stipulée par l'article 65 de la loi boursière qui
transposait purement et simplement le Glass-Steagall Act américain. Une loi
plus récente de 1992 maintient, malgré certaines modifications apportées à
l’article 65, cette séparation et rejette ainsi clairement le principe de la banque
universelle.)
La première différence tient à l'importance des transactions effectuées
à la fois par les intermédiaires financiers et le marché de capitaux.
Le système financier japonais compte aujourd'hui parmi les premiers selon
les critères de volume des transactions et de capitalisation, alors
qu'en Allemagne, la montée en puissance des banques s'est faite au détriment
du développement du marché financier. Les entreprises allemandes
préfèrent souvent ne pas s’introduire en bourse et conservent
généralement la forme juridique de GMBH (Sàrl).
Au début des années
1990, il n’existait que 2 500 sociétés anonymes contre 400 000 sociétés
à responsabilité limitée. Parmi ces sociétés anonymes il n’y en avait que
700 qui étaient cotées sur une des huit bourses allemandes l’introduction
en bourse ne s’étant le plus souvent faite qu’avec une fraction faible du
capital. Les firmes allemandes utilisent la dette intermédiée comme
source principale de financement externe. Le pouvoir des banques est
aussi renforcée par la législation boursière qui a rendu leur intervention
obligatoire sur le marché officiel. Peu de cessions de blocs de contrôle
sont possibles sans leur accord rendant ainsi les OPA difficilement réalisables.
La deuxième différence entre les deux systèmes au modèle
s’explique en faisant référence au modèle de D.W. Diamond [1984] de
délégation du contrôle. L’auteur soutient qu’une délégation efficace du
contrôle, par les créanciers, peut conduire à un financement exclusif
par les banques. Contrairement à ce que prétend P. Sheard [1989], le
système allemand semble être le plus conforme à ce point de vue dans
le sens où les banques peuvent exercer plus explicitement le métier de
contrôleur délégué.
(Les actions n'ont représenté, en 1990, que 3 % et les obligations que 1 % du
total des fonds des entreprises (Deutsche Bundesbank , Flow of data for producing
entreprises). (P. Sheard [1989] établit une similitude entre le modèle japonais de la banque
principale et le modèle de délégation de contrôle proposé par D.W. Diamond
[1984]. Il stipule qu’au Japon, un seul agent, en l’occurrence la banque principale,
est autorisé à exercer le contrôle, ce qui évite la duplication des coûts liés à
la collecte d’information.)
Ce qui se passe au Japon ne peut être assimilé à une
délégation du contrôle [M. Nekhili 1997], mais plutôt à une façon particulière
de protéger le s actionnaires individuels grâce à la présence des
banques, à leur côté, dans les conseils d'administration. Ce sont les banques,
et non les créanciers individuels, qui délèguent le contrôle à un seul
agent spécialisé, en l'occurrence la banque principale. Tant que les firmes
ne connaissent pas de difficultés financières, cette dernière se
comporte comme un créancier ordinaire, sans intervention particulière
dans la gestion. En revanche, en cas de difficultés majeures, la banque
peut se substituer à l'équipe dirigeante pour prendre les mesures de réorganisation
qui s’imposent.
Les banques allemandes peuvent intervenir
directement dans les affaires des entreprises grâce à une simple procuration
donnée par les investisseurs individuels qui placent leurs droits de
vote “ en dépôt ». Cette procuration est faite pour quinze mois et est
révocable à tout moment. Le pouvoir d’influence des banques Outre-
Rhin dépasse ainsi nettement celui qui est conféré par la détention directe
de blocs d'actions. Elles sont, par conséquent, souvent présentes
dans les conseils d'administration et interviennent dans le management
des entreprises. Ce mode de fonctionnement, bien qu’il soit censé réduire
l’opportunisme des dirigeants, peut générer aussi de nouveaux
problèmes d’information asymétrique et de risque moral entre les actionnaires
individuels et leurs contrôleurs délégués.
Les banques ne
peuvent logiquement prendre en considération l’ensemble des revendications
éparses et contradictoires des actionnaires. La diversité des services
offerts par la même banque universelle peut tourner ainsi au désavantage
des entreprises qui ne peuvent facilement s’émanciper.
Cette dernière remarque est s’applique également au cas japonais.
Les entreprises membres d’un Keiretsu éprouvent plus de difficulté à
réduire leur endettement bancaire que les entreprises non affiliées.
En
comparant le comportement de ces deux catégories de firmes, D. Flath
[1993] trouve que l’accroissement de la rentabilité d’exploitation exerce
un effet négatif et non identique sur leurs niveaux respectifs
d’endettement bancaire. Cet effet est de -43,65 pour les entreprises indépendantes(au nombre de 981) contre -21,64 pour les entreprises affiliées
à un Keiretsu (au nombre de 142). Les résultats trouvés sont statistiquement
significatifs au seuil de 0,1 %. L’étude réalisée par D. Flath
[1993] n’a malheureusement porté que sur les données de l’année 1980,
au début de la libéralisation des marchés. Vers la fin de cette même décennie,
certains auteurs, comme J.Y. Campbell et Y. Hamao [1994] ont
remarqué que les entreprises japonaises avaient réduit leur endettement
auprès des banques pour recourir à d’autres sources de financement.
Le
montant des émissions d’obligations réalisées par l’ensemble des entreprises
du pays est passé, entre la période 1984-1987 et la période 1988-
1991, de 3 142,5 à 5 119 milliards de yens, celui des obligations convertibles
de 6 929,5 à 16 139 et celui des warrants de 142 à 1 180 milliards de
yens. Cette évolution observée au Japon corrobore la thèse défendue
par D.W. Diamond [1991]. Ce dernier soutient que les entreprises doivent
construire une réputation suffisante auprès des banques avant
d’accéder au marché. Cette réputation rassure les investisseurs individuels
et réduit, ex ante, les problèmes d’information asymétrique.
La troisième différence est liée au caractère universel ou non des
banques et tient à la durée des crédits accordés aux entreprises. En Allemagne,
les deux-tiers des emprunts bancaires sont à long terme et représentent,
à la fin de la décennie 1990, 20 % du total des fonds des entreprises
(Deutsche Bundesbank). A contrario, les banques commerciales
japonaises (city banks) ne sont pas libres du choix des échéances
des crédits qui ne pouvaient excéder, jusqu'en 1991, une durée de deux
ans [T. Chevalier-Farat 1992].
Sur la période 1977-1991, les banques
principales détenaient environ 40 % des crédits à court terme accordés
par l’ensemble des city banks [M. Aoki et al. 1994]. Ce dernier point
plaide cependant en faveur du système japonais qui permet, grâce au
mécanisme de renouvellement, de mieux vérifier la réputation des entreprises.
Ce critère devient particulièrement indispensable pour pouvoir
juger de la qualité de l'emprunteur [D.W. Diamond 1991], mais aussi
comme moyen facilitant l'émission directe des titres [C. James, P. Wier
1990]. Le marché financier réagit ainsi favorablement au renouvellement
des crédits bancaires et non à leur première attribution
[L.S. Lummer, J.J. McConnell 1989]. Le caractère exclusif de
l’endettement à court terme comporte également des inconvénients.
Comme l’explique R.G. Rajan [1992], les banques peuvent exercer à
travers le processus de renouvellement un “ pouvoir de marché » sur
les firmes clientes. Elles imposent leurs propres conditions pour garantir
la continuité du prêt. Ce pouvoir peut créer des distorsions dans la politique
d’investissement. Si les entreprises doivent systématiquement partager
le profit réalisé avec les banques afin de les persuader de la qualité
de leurs projets, ces dernières se satisferont donc, comme le font
d’ailleurs les Keiretsu, d’une rentabilité minimale.
Conclusion
Après avoir passé en revue les principales caractéristiques des systèmes
de financement et de gouvernement des entreprises japonaises,
deux questions essentie lles méritent d'être posées. Premièrement, peuton
attribuer, ne serait-ce qu'en partie, les résultats observés au Japon, à
la spécificité du mode de gouvernement des entreprises ? Deuxièmement,
le modèle japonais de la banque principale est-il infaillible et facilement
transposable aux autres économies ?
La première question ne peut recevoir actuellement de réponse définitive.
Il nous faudrait pour cela une théorie cohérente et unifiée de la
microstructure de l'entreprise, depuis les caractéristiques de son mode
de gouvernement jusqu'au rôle politique et économique de l’État
[M. Aoki 1990].
Quant à la seconde question, certains auteurs pensent que le modèle
financier japonais peut servir d'exemple à d’autres pays, notamment à
ceux qui sont en phase de transition. En effet, le passage d'une économie
planifiée à une économie de marché n'est pas chose simple et l'implication
des banques peut, à notre avis, faciliter le démarrage, voire
même le développement du marché financier. T. Hoshi et al. [1994]
étudient d'une manière approfondie le cas de la Pologne et montrent, à
titre d'exemple, comment ce pays a tout intérêt à s'inspirer de l'expérience
japonaise. Pour eux, le modèle japonais de la banque principale
est le modèle qui répond le mieux aux exigences d'un environnement entaché
d'information asymétrique et de risque moral. Toutefois, les critiques
qui ont été adressées au Japon à propos de la dernière crise asiatique
n’ont pas épargné le mode de gouvernement des entreprises.
Le
nombre important de faillites bancaires provoquées par l’accroissement
des créances douteuses a entraîné une réaction des chercheurs et des
médias. On parle, de plus en plus, d’une inadéquation du système de
contrôle « à la japonaise » et d’une certaine « fatigue » institutionnelle.
Depuis plus de cinquante ans, le Japon n’a entrepris, comparativement à
ses homologues américains et européens, que très peu de réformes visant
à améliorer la transparence du marché financier. La dernière en
date est celle initiée en 1996. Appelée « Big-bang », cette réforme
concerne le développement des marchés (libéralisation complète de
l’entrée sur le marché, des commissions et de l’utilisation des produits
dérivés) et la restructuration des institutions financières [M. Aglietta
1997]. De plus en plus convergent avec le modèle américain, le modèle
japonais est-il toujours à suivre ?
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