A pour Abid

... ou encore pour majeur, meneur, dominant, champion!

Par Francois Béliveau

 

Ramzi Abid célèbre ses 18 ans mardi.  Il n'aura pas attendu sa fête pour devenir majeur pour les dépisteurs, meneur dans la LHJMQ, dominant à Chicoutimi.  Champion compteur:  135 points.

Avec son nom plutôt exotique dans le hockey et ses 266 punitions, il attise la curiosité des patrons de clubs de la Ligue nationale.   Les gris sourcils font des accents circonflexes.

Abid, à la remise des diplômes, le prochain repêchage, sera bien coté.  Du 8e rang qu'il était en janvier, il aura gagné des rangs, donc des milliers de dollars de plus.  Certains le voient talonner Vincent Lecavalier qui, depuis un an, est bon premier selon les connaisseurs.  Mais les séries éliminatoires qui débutent joueront encore dans cette évaluation très fluctuante.

Qui est donc ce phénomène qui se permet de sortir de nulle part, avec un club de second plan (8e sur 15), et qui finit au sprint devant Ribeiro, Bagenais, Benoît, Richards et Lecavalier?

Qui est-il ce gaillard ignoré des amateurs qui ont pourtant souvent entendu parler de Mike Ribeiro, lequel n'est encore que 30e (pas assez costaud), donc en deuxième ronde, même si pendant un temps il a révolutionné Rouyn-Noranda?

Comment se fait-il que les feux de la rampe se braquent soudainement sur Abid tandis qu'on oublie encore parmi les 100 premiers la deuxième meilleure recrue de la LHJMQ, Brad Richards (115 points), de l'Océanie?

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Ses 266 minutes au banc de punition, c'est plus que les 35 autres premiers marqueurs du circuit.  C'est 119 minutes de plus qu'André Savard qui, en 1972, remportait le championnat des compteurs avec 167 points et 147 minutes de pénalités, un record de "prison" pour un champion, qui n'avait pas été battu depuis.

Pas du tout frustré de voir sa marque tomber, Savard, dépisteur des Sénateurs d'Ottawa, se permet d'en rire:   "Ce n'est pas un fait d'armes auquel je tenais.  J'ignorais même jusqu'à ces derniers jours que c'était encore un record", explique l'ex-vedette des Remparts et ex-coach des Nordiques.

"Je suis heureux pour Ramzi, l'un des meilleurs de la cuvée 1998 de la LHJMQ.  À Ottawa on l'aime beaucoup.  On observe de près depuis un moment, on apprécie son talent, son caractère..."

Mais au même titre que les autres dépisteurs, Savard stoppe-là ses considérations, après avoir affirmé qu'Abid ne devancera pas Vincent Lecavalier, de l'Océanie de Rimouski, au premier rang des futures sélections de la LNH à Buffalo, le 27 juin prochain.

"Nous sommes en compétition entre dépisteurs.   On n'a pas le droit de révéler ce qu'on pense des joueurs avant le repêchage.   Les premiers choix, vous comprenez, ce sont des millions."

"Je me crée de la place..."

On n'ignore pas que les clubs de la LNH adorent les gros et grands joueurs.  Et costauds.  Et hargneux.  Et bagarreurs...

Au Québec on s'en plaint souvent car bien des "petits" joueurs ratent une carrière à cause de ca, en dépit de beaux talents.

Les prochains gradués de la LHJMQ ont une facture nouvelle:  Lecavalier, 6'4, 190 livres; Mathieu Biron, 6'6, 220 livres; Abid, 6'2, 197 livres; Jiri Fisher, 6'5, 210 livres.  Le plus petit, Alex Tanguay, fait 6', 190 livres.  Même les gardiens en imposent:  Mathieu Chouinard et Philippe Sauvé, 6'1 chacun.

"Je ne déteste pas le jeu physique, commente sans détour Ramzi Abid.  Je me crée de la place dans les coins.  Je me suis battu huit-dix fois cette saison, mais mon coach préfère pas.  Il me veut sur la patinoire.  Et j'ai compris que ce n'est pas mon job!"

Ramzi, un des deux fils du technicien montréalais Mohamed Abid, arrivé de Tunisie il y a 30 ans, est marié à une Écossaise.

"Au tournoi de la Coupe Memorial à Hull l'an passé, j'ai su que je pouvais rêver à la Ligue nationale.  Mon entraîneur Réal Paiement me faisait beaucoup jouer malgré mes 16 ans.  Je me suis battu souvent (141 minutes au cachot) pour me faire un nom.  Je jouais très physique.  Je retournerais bien à la Coupe Memorial!"

Dans sa Mercury Topaz 90 payée par papa-maman, Ramzi va au Cégep de chicoutimi (sciences humaines), et rêve à la gloire.   "Mais pas encore à l'argent, affirme-t-il.  Je n'ai pas d'idée du club qui me repêchera, ni à quel rang.  Tant que je n'ai pas de contrôle sur une chose, je refuse de me faire une opinion."

Ramzi est réaliste.  Il sait qu'il sera un choix de première ronde, mais il sait aussi que sa faiblesse c'est son manque de vitesse:   "Je m'améliore, tous l'ont constaté, mais je vais travailler très fort en "power skating" cet été.  Ca va changer!"

"Ha! qu'il est bon!"

Abid a évolué dans un trio prolifique, avec Mathieu Benoît qui a mené le circuit avant d'être blessé (4e avec 117 points), et le vétéran David Gosselin (8e, 110 points).  Il a raté plus de cinq matchs en suspension et punitions.  Au match des Étoiles de la Ligue canadienne, il a battu Lecavalier aux tests de vitesse.

Jean-Guy Gratton, agent de joueurs sans candidat aux prochains premiers choix, s'affiche pour Abid:  "Ha! qu'il est bon, répète-t-il.  Si j'étais gérant d'un club de la LNH, je prendrais Abid au lieu de Lecavalier.  Les éliminatoires vont en dire plus!"

Gratton fait remarquer que Jandec, l'ex-firme de Pierre Lacroix (le dg de l'Avalanche du Colorado) maintenant dirigée pas l'ex-gardien des Sabres de Buffalo Robert Sauvé, a toujours eu peu d'athlètes, mais de qualité.   Cette fois trois premiers choix:

Sauvé est assis sur une fortune avec Lecavalier et Abid comme clients, en plus de son fils Philippe.  Il a bien joué ses cartes, ce qui fait frémir son rival Gilles Lupion.  Celui-ci prétend que son poulain Mathieu Biron, quatrième en janvier, battra les deux autres au fil:  "Mathieu est le meilleur défenseur jamais sorti de la LHJMQ, lance-t-il.  J'ai vu des premiers "scoreurs" de cette ligue qui n'ont pas été "draftés".  Abid manque de patin..."

Lupien dirige aussi la destinée de l'aîné de Mathieu, Martin Biron, gardien par excellence la semaine dernière dans la Ligue américaine (Americans de Rochester).  Les amateurs le savent, Lupien mesure 6'7.   Il adore les très grands comme Mathieu, 6'6.

Mais il est l'un des rares à douter d'Abid.

Robert Sauvé, qui a trois autres candidats aux quatre rondes initiales, Simon Gagné, Francois Beauchemin et Jonathan Girard jr, ne dira pas qu'Abid devancera Lecavalier - on ménage ses clients.  Tout en vantant la robustesse de Ramzi il parlera du talent naturel de Vincent:  "Les clubs de la LNH, c'est comme le monde.  Certains aiment les blondes, d'autres les brunettes!".

Un record pour le Québec?

Il est aussi parmi ceux qui croient qu'en juin, la LHJMQ se démarquera en éclipsant son record de cinq choix de première ronde.  Le vice-président du circuit., Maurice filion, l'affirmera aussi:  "On aura d'agréables surprises, notre meilleure récolte!"

Les connaisseurs, tel l'agent de joueur et ex-propriétaire des anciens Remparts Michel Côté, sont tentés de prédire qu'Abid devancera Lecavalier à cause de sa belle fin de saison, alors que la vedette de Rimouski, qui continue d'attirer 5000 amateurs par match, a terminé cahin-caha.  Mais la logique l'emporte:

"La lutte se jouera plutôt entre Lecavalier et l'Ontarien Legwand, de très beaux talents", croit Pierre Dorion, dépisteur du Canadien.  Ramzi va grimper, et Biron, qui paraît maladroit et juvénile à cause de sa grandeur va rester dans les dix premiers."

Son patron Pierre Mondou aussi ne pense pas qu'Abid devancera Lecavalier, mais il est optimiste pour la cuvée du Québec.

Comme d'autres, il ménage ses commentaires.   La discrétion est aussi une règle d'or pour le conseiller Normand dupont, premier choix du Canadien à l'époque de Mike Bossy et Sauvé:  "C'est sûr que le rang d'Abid va s'améliorer, mais si je dirigeais un club comme Tampa j'irais avec Lecavalier, un compteur de concession.  À mon avis Vincent est plus talentueux qu'Alexandre Daigle."

Autant Abid, Vincent que Mathieu, et tous les autres en fait, ont à peine 18 ans et n'ont pas fini de mûrir physiquement.  Un Ribeiro peut devenir plus musclé, Biron plus costaud et solide...

Le pilote du Titan, Paulin Bordeleau, neutre, est affirmatif:  "Abid va jouer dans la LNH et connaîtra une belle carrière.   Il m'impressionne.  Et pour moi, Biron c'est un futur Chris Pronger!"

Enfin, son frère Christian, de la Centrale de dépistage de  la LNH, est imagé comme un Abitibien:  "Je l'aimais ben gros avant son titre itou, Abid.  Une bonne tête, le type d'ailier recherché.   Des clubs aiment consulter nos évaluations, mais d'autres comme le Canadien préféreraient une liste en ordre alphabétique.  C'est évident que Lecavalier, un Jean Béliveau, restera au sommet.  Mais Abid pourrait bien devancer Biron.   Quant aux gardiens de but, je pense que Philippe Sauvé va être choisi avant Mathieu Chouinard.

"En fait, ca ne me surprendrait que cette année, huit joueurs de la LHJMQ partent dès la première ronde.  L'un de mes favoris, c'est Alex Tanguay, du Halifax.  Je le classe meilleur joueur de tout le repêchage dans les deux sens de la patinoire..."

Notons enfin que les quatre premiers gardiens des listes sont francophones.  Le premier, Patrick DesRoches (Sarnia), origine de Penetanguishene, important bastion de francos-ontariens sur le bord du Lac Huron (Baie Georgienne).  Les suivants, Chouinard, Sauvé et Bergeron, perpétuent la tradition du Québec...

 

La Presse, Samedi 21 Mars 1998.


Ramzi Abid attire les regards.....(Progrès-Dimanche,22 Mars 1998).


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