Le tabouret et le tambourin de Françoise Bobe

Au fond d'un grenier, un tabouret et un tambourin qui s'ennuyaient se mettent à chuchoter :
- J'ai une folle envie de danser, dit soudain le tabouret.
- Si on allait faire un tour ! tambourine alors le tambourin.
- Très bonne idée ! rétorque le tabouret en sautant de joie.

Il enjambe toutes sortes d'objets et sort sur la pointe des pieds. Le tambourin virevolte plusieurs fois et tous deux prennent le premier chemin, tambourin tambourinant, le tabouret se trémoussant.

Un peu plus loin, par une fenêtre ouverte, une mandoline les entend. Elle appelle :
- Ohé ! Attendez-moi. Je ne veux plus passer ma vie à décorer le mur au-dessus du canapé.

Ils l'accueillent volontiers, et tous les trois poursuivent leur chemin, le tambourin tambourinant, le tabouret se trémoussant, la mandoline vibrant doucement.

Un peu plus loin, sur l'étalage d'un brocanteur, un vieil accordéon les entend :
- Ohé ! Attendez-moi. Je ne veux plus rester ici exposé en toute saison, par tous les temps.

Ils l'accueillent bien volontiers, et tous les quatre poursuivent leur chemin, le tambourin tambourinant, le tabouret se trémoussant, la mandoline vibrant doucement et l'accordéon soufflant de son mieux.

Un peu plus loin, dans un camion de récupération, une flûte les entend :
- Ohé ! Attendez-moi. Je ne veux pas être jetée avec toute cette ferraille.

Ils l'accueillent bien volontiers, et tous les cinq poursuivent leur chemin, le tambourin tambourinant, le tabouret se trémoussant, la mandoline vibrant doucement, l'accordéon soufflant de son mieux et la flûte sifflotant gaiement.

Un peu plus loin, un homme les entend. Il tient sur son épaule un instrument qu'il semble bercer. Il est debout et paraît fatigué. Dans un chapeau à ses pieds, quelques piécettes brillent.

Le musicien a un regard étrange car ses yeux ne peuvent pas voir, mais son ouïe fine lui permet de tout savoir. Il fait glisser l'archet lentement, puis il attend. La flûte, la première, lui répond. Le musicien pince alors deux ou trois cordes. Aussitôt la mandoline donne l'écho et le tabouret se met à danser avant de venir se placer au bon moment au bon endroit.

L'homme s'assied. Il caresse le bois d'une main amie. Il prend le temps d'accorder son violon et donne le la. Tous alors s'élancent pour un long morceau improvisé. Les passants ralentissent le pas ou s'arrêtent pour écouter.

Depuis ce jour-là, les enfants du quartier font souvent une ronde autour de l'orchestre en frappant dans leurs mains.

Depuis ce jour-là, chaque soir, le musicien rentre chez lui accompagné du tambourin tambourinant, le tabouret se trémoussant, la mandoline vibrant, de l'accordéon soufflant et de la flûte sifflotant toujours gaiement.