Mathilde s'en va-t-en guerre d'Anne-Lise Carré

La nouvelle est arrivée cet après-midi.
Quand le docteur m'a quittée, les yeux de Maman se sont mis à briller, ses mains à trembler, son sourire s'est effacé. Elle a été littéralement mise hors jeu.
C'est alors que Papa a bondi. Il est venu près de moi, a pris ma main et m'a dit :
- Mathilde, on part en guerre, et cette guerre, on va la gagner !
"Quel homme ! Un vrai général !" ai-je pensé.

En fait, le plan de bataille est très simple, et c'est mon papa-maréchal qui, assis sur mon lit, m'a tout expliqué.
- Premièrement, dit-il, avant de partir en guerre, il faut bien se préparer. Donc ! la valise : vu le lieu des combats, il n'est pas besoin de se charger en vêtements; prévoir plutôt plusieurs pyjamas. Mais ce n'est pas important, c'est l'accompagnement !
- Comme c'est bien dit, mon général !

En fait, il veut simplement dire qu'il faut être bien entouré.
C'est toujours une bonne idée.
- Donc ! ne pas oublier ses compagnons préférés : Pimpin le lapin, Tino le blaireau, Sidonie la poupée et le Hérisson.
Il faut surtout penser que l'on ne doit pas s'ennuyer : l'inertie des troupes conduit à l'endormissement général, cause de nombreuses défaites.
- Veiller, c'est être toujours prêt ! dit notre papa Napoléon en bondissant sur le lit. Bous devons simplement nous occuper, ne pas nous ennuyer, et nous serons assez nombreux pour nous aider et nous soutenir tous entre nous : je crois que c'est cela qu'il veut dire.
- Donc, nous prendrons les livres, les crayons de couleur, le magnétophone et les cassettes, le jeu des chevaux, celui de l'oie, un master-mind, le jeu électronique, puis... bon, l'intendance sera suffisamment chargée comme cela. Elle fera plusieurs trajets en cas d'oubli.
L'intendance, cela doit être Maman.
Elle a ses yeux ronds comme des billes, regarde Papa d'un air hébété. N'empêche, du blanc, son visage est passé au rosé.
- Mais la préparation matérielle n'est pas tout, Mathilde, reprend Papa. Il faut aussi nous préparer psychologiquement.
- Dans la tête quoi !
- Pour ça, il faut être prêt.
Être prêt, c'est se dire que l'on va peut-être avoir mal, que l'on sera fatigué. Mais il faut garder confiance. L'ennemi est tout seul, et nous, nous sommes tous contre lui. Et c'est pour cela que nous allons gagner ! Tu as compris, Mathilde, il ne faudra pas te décourager.
- Oui, Papachef. Mais dis-moi, c'est qui l'ennemi ?
- L'ennemi, Mathilde, dit Captain papa, c'est la maladie. Elle est là, mais regarde, tu as déjà commencé à la combattre. Ta fièvre, ta fatigue prouvent que ton corps a commencé à se défendre.
Sur le terrain des combats, à l'hôpital, nous aurons l'avantage : le chirurgien, les médecins, les infirmières et les médicaments sont de notre côté.
Ils nous aideront, et nous serons toute une armée prête à la bataille et à la victoire...
Mathilde, fais-moi confiance, tout va bien se passer !

Pour le coup, Maman est toute rouge. Les poings serrés, la voilà dynamisée et même dynamitée par l'énergie que déploie mon papa d'amour.
Moi, dans les bras de Papa, je suis sûre qu'on va gagner.
J'ai jamais eu envie de faire la guerre, mais dans ce cas, je ne peux que me lancer et gagner !