Monsieur A Rentre à L'école

de Eléonore de la Gravière

Monsieur A est bien gros, bien grand, bien important. Il est la première lettre de l'alphabet. C'est toujours lui que la maîtresse montre en premier. Il est aussi la première lettre de la frise qui décore le mur de la classe.

Monsieur A est toujours accompagné de son âne, pour que les enfants se souviennent facilement de lui :
"A" comme "Ane" !

Et ils aimaient bien l'âne de monsieur A, avec ses grandes oreilles, ses yeux si doux et son pelage gris.

Oui... mais l'âne est beaucoup plus joli que monsieur A, tout droit et beaucoup trop fier. Pourtant, c'est vrai que le A est la première lettre que les petits écoliers apprennent à écrire.

Cette année, les élèves de la classe de mademoiselle Lise s'intéressent beaucoup à l'âne du A. Ils lui dessinent des carottes, une écurie avec de la paille et une jolie prairie fleurie.

Quand mademoiselle Lise demande d'écrire le A, les enfants ne se rappellent jamais sa forme. Mais Théo, qui est très futé, s'écrie:
"Moi, je sais! Regardez-moi!"

Et il fait une sorte de A avec de grandes oreilles et des yeux doux:

Aussitôt, toute la classe copie ce A. Et la maîtresse rit aux éclats devant cette nouvelle lettre.

Monsieur A ne dit rien. Il cache sa colère. Mais quand tous les enfants sont rentrés à la maison, quand enfin la classe est vide, il explose :
"Me faire ça à moi! Le grand, le beau A! La première lettre de l'alphabet! Demain, ces enfants-là se moqueront de toutes les autres lettres! Bon... c'est décidé, je pars. Je ne resterai pas une minute de plus dans cette école, où l'on n'est pas gentil avec moi!"

Et, tenant son âne par la bride, monsieur A sort de l'école d'un pas décidé, en claquant la porte.

Monsieur A avance vivement sur le chemin, cherchant une grande idée. Après avoir traversé la campagne sans même regarder le paysage, il déclare tout à coup à son âne:
"Si les enfants se moquent de moi, c'est ta faute! Je suis un A et ils m'ont pris pour un âne. Ils m'ont confondu avec toi! C'est insupportable! Tiens, je ne veux plus te voir!"

Monsieur A conduit l'âne à l'écurie et, le poussant par le derrière, il lui dit :
"Entre là-dedans! File! Disparais!"

Le lendemain, mademoiselle Lise commence sa leçon. Mais comme c'est bizarre! Personne ne peut lire PAPA car il manque le A et on voit "P.P.". Et personne ne peut lire MAMAN car on voit "M.M.N". La maîtresse est très ennuyée. Elle ouvre ses livres, ceux où il n'y a pas d'images, seulement des mots. Il y a des trous partout! Il manque les A!
"Catastrophe! Se dit-elle. Mes élèves ne sauront jamais lire!" Et elle les envoie tout de suite en recréation pour se laisser le temps de réfléchir.

Pendant ce temps, les autres lettres ne sont pas contentes du tout.
"Quel toupet il a, ce A! Et nous, alors, on compte pour du beurre? Dit le B.
- Ça ne se passera pas comme ça! Ah, ça non!" grogne le O.

Et à travers la campagne, sans s'attarder ni s'arrêter pour regarder le paysage, les lettres marchent d'un bon pas.
"A! A! Où es-tu? Crie le I. Tu fais le fier et mademoiselle Lise est bien triste, maintenant ! Montre-toi!"

D'abord, ils trouvent l'âne, et le H le sort de l'écurie. Le B lui fait plein de caresses pour le consoler.

Ensuite, après avoir bien cour, les lettres découvrent monsieur A qui pêche, assis sur un rocher au bord de l'eau.

Trop occupé, monsieur A ne les voit pas venir. Quand soudain, il aperçoit l'âne et se met de nouveau en colère:
"Encore toi, vilaine bête? Va-t-en!"

Alors, les autres lettres se montrent.
"Tu dois revenir à l'école! dit le O. Il y a des trous dans les livres de la maîtresse.
- Tant pis, ça ne m'intéresse pas! Bougonne monsieur A, toujours grognon.
- Oui mais, à cause de toi, les enfants ne sauront pas lire et seront des ânes!" ajoute le B, d'un air malin.

Monsieur A se gratte le nez et s'écrie:
"Des ânes? Ah non! Il y en a assez d'un pour nous ennuyer! Allons rentrons à l'école. Moi devant, bien sûr!"

C'est ainsi que Monsieur A reprit sa place dans la frise et que mademoiselle Lise put continuer sa leçon.