F.A.R.C.E.
(Fraction Armée Révolutionnaire Clandestine Etc.)




Interview de la F.A.R.C.E. par Thierry Sartoretti (L'Hebdo)

- Version intégrale (extraits publiés le 27 janvier 2000 dans L'Hebdo N0.4)



Quelles sont les circonstances et les raisons qui vous ont mené à former la F.A.R.C.E.?

La F.A.R.C.E. a été conçue au cours d'une soirée entre amis, par les effets conjugués de la chaleur humaine, de la bonne humeur et de nectars variés d'une part, et d'autre part de l'ennui mêlé de révolte que suscite ce que d'aucuns appellent sans plaisanter "la vie politique suisse".

Pourquoi révolte? Parce que dans ce pays confit dans l'amour maladif du compromis tranquille, les scandales et les idées nauséabondes ne font pas vraiment de remous.

Parce que les partis politiques perclus de compromissions électoralistes ne sont percutants que dans leur mollesse.

L'immobilisme et la passivité dans une période où la xénophobie, l'intolérance, le racisme et l'exclusion refont surface nous obligent à utiliser d'autres voies que celles que nous offre la démocratie. Pour que les médias offrent à Blocher et à ses idées une place de choix, il a fallu qu'il orchestre quelques "coups d'éclat" à la limite de la légalité (campagne d'affichage xénophobe de l'UDC par exemple). Pour que vous parliez de nos idées, nous avons dû choisir la même tactique, l'humour en plus.

Parce que nos médias se contentent trop souvent de commenter doctement, avec un détachement prétentieusement intellectuel ou avec une recherche d'originalité trop systématique pour ne pas devenir frivole; parce qu'il n'y a pas de Canard Enchaîné helvète.

Exemple au hasard : peu avant notre attentat au yoghourt, la presse s'évertuait à disserter sur le phénomène Blocher, à analyser sa personnalité et sa "machine de guerre", à s'extasier devant son charisme; ou encore, à l'instar d'un certain magazine prétendument bon pour la tête, à lui servir complaisamment la soupe sous prétexte d'écouter l'homme avant de porter un jugement : honnêteté intellectuelle (rires) ou souci de se démarquer à tout prix?
On aurait cherché en vain, à ce moment-là, une analyse fouillée et critique de l'idéologie blochérienne, dont la propagande zurichoise fournissait pourtant, si l'on ose dire, la matière. Il est vrai qu'après les révélations du Sonntagsblick, la presse romande a subitement changé sa plume d'épaule.

Bref. Tout cela engendre une profonde lassitude mêlée d'un sentiment d'impuissance. Dès lors, le seul moyen de s'exprimer semble résider dans le terrorisme. Et comme le terrorisme sérieux est une absurdité abjecte, reste la mascarade et le yoghourt. D'où l'idée de la F.A.R.C.E., qui cumule un certain nombre d'avantages:
-c'est un jeu qui nous amuse et qui défoule
-c'est un moyen d'exprimer nos opinions, essentiellement par le biais de notre site web
-c'est une manière d'entamer un peu la monotonie suisse
-c'est une manière de se moquer aussi du terrorisme
-apparemment, ça fait vendre du papier.


Quand cela s'est-il produit et quel fut l'acte fondateur (attentat ou autre) qui lança le mouvement?

Formulée au cours de la susdite soirée il y a un peu plus d'une année, l'idée s'est peu à peu concrétisée au gré des contacts. Au noyau initial se sont joints des sympathisants et des gens désireux d'en découdre dans la gaudriole. Soulignons, si besoin est, que la F.A.R.C.E. n'est pas un mouvement constitué, avec statuts et liste de membres. C'est un ensemble mouvant aux ramifications souples, et qui ne connaît qu'une seule règle sérieuse: il est strictement interdit de se prendre au sérieux.

Enfin, vous n'êtes pas sans savoir, puisque c'est la raison essentielle qui vous a conduite jusqu'à nous, que l'attentat au yoghourt perpétré contre Christoph Blocher est l'acte initiatique des débuts de notre mouvement.


Combien de membres compte la F.A.R.C.E. et quel est votre mode de réunion ou d'opération?

La F.A.R.C.E. compte autant de membres qu'en nécessite chaque opération. Répartie sur l'ensemble de la Suisse romande, une partie des militants de la F.A.R.C.E. proposent spontanément leurs services en nous écrivant sur notre site Internet. Les autres sont recrutés selon des contacts répartis dans les lieux stratégiques tels que: rédactions de magazines hebdomadaires romands, palais fédéraux et concerts d'Alain Morisod. L'organe dirigeant de la F.A.R.C.E. se trouvant à l'écart dans un lieu tenu secret où aucun des militants n'a jamais vu leurs visages, les opérations sont préparées en utilisant le réseau informatique mondial. Ainsi le comité central peut, en cas de crise, poursuivre la direction des actions depuis l'étranger.


Quel est l'âge moyen des membres de la F.A.R.C.E., compte-elle exclusivement des hommes?

La Fraction Armée Révolutionnaire Clandestine Etc. est une organisation moderne basée sur les principes fondamentaux de l'égalité. Il n'y a donc aucune raison qu'elle soit constituée exclusivement d'hommes. L'âge moyen de ses membres nous semble être une demande très inconvenante étant donné la présence de femmes dans l'organisation, mais nous pouvons toutefois la situer à 32, 458108 ans, avec une marge d'incertitude de 11 ans (environ).

Avant de créer la F.A.R.C.E., certains de ses membres ont-ils eu des antécédents politiques ou militants, si oui lesquels.

Non. La F.A.R.C.E. est un mouvement fondamentalement apolitique. D'ailleurs, répétons-le, l'une de ses principales caractéristiques est de pratiquer la dérision et l'autodérision, ce qui est totalement incompatible avec une démarche militante ou partisane.


Comment considérez vous votre action d'un point de vue politique ou social?

Voir à ce sujet les considérations livrées en réponse à votre première question. On peut y ajouter les témoignages éloquents qui sont parvenus sur notre forum après l'attentat contre Christoph Blocher:
hormis les critiques de quelques uns qui jugeaient notre action infantile ou anti-démocratique, de nombreux correspondants nous ont adressé des félicitations et nous ont encouragés à poursuivre.
L'un d'eux disait à peu près "il y a des moments où les doctes analyses doivent céder la place au geste, ça défoule", et un autre "il y a des gens pour taguer les affiches nauséeuses de l'UDC ou pour oser entarter Blocher: c'est nécessaire et c'est bon à savoir". Au plan social, nous avons donc l'impression réconfortante de représenter une partie de la population, qui comme nous ne trouve ni dans la presse ni dans la politique le reflet de ses opinions ou de ses sentiments.

En cassant le cadre des conventions mornes au moyen d'actions grotesques, inattendues et dérisoires, la F.A.R.C.E. montre aussi à quel point ce cadre est fragile. C'est une incitation à transgresser les habitudes creuses, les normes pompeuses et les interdits pompants. C'est un encouragement à s'exprimer librement, bordel de Dieu.

Libératrice et porteuse d'espoir pour nous qui fantasmons sur une société qui porte plus d'intérêt aux gens qui la constituent, elle permet, politiquement, de rappeler aux personnalités de ce pays qui se prendraient très au sérieux que, sans papier de toilettes, elles sont dans le besoin comme les autres.

Dans un registre allègrement philosophique, nous considérons que l'humour est un facteur de civilisation. La preuve: les intégristes religieux ou les militaires, qui incarnent les comportements collectifs humains les plus primitifs, se signalent par un manque quasi total d'humour. Nous en déduisons que plus une société pratique l'humour, c'est-à-dire le détachement et la relativisation face aux dérives simplistes de toutes sortes, plus elle est évoluée.
Or il nous tient particulièrement à coeur, à la faveur de notre modeste action, de contribuer à la marche de la Suisse vers la Civilisation.


Vos victimes appartiennent-elles à un camp particulier ou à une famille politique particulière?

Non. Toute personne, entreprise ou organisation qui nous paraissent jouir d'une impunité agaçante dans les médias ou dans l'opinion en général constituent des cibles potentielles, de même que les pompeux et autres baudruches de toutes sortes. Mais si le "camp particulier" et "la famille politique" auxquels vous faites allusion sont constitués de personnages austères, dédaigneux et dénués de tout sens de l'humour, alors la réponse est oui.


Que compte faire votre mouvement durant les six prochains mois?

Notre stratégie est fondée sur la surprise. Par conséquent nous allons attendre le septième pour commencer à réfléchir sur l'éventualité d'une remise en question des six derniers mois, dans le cas où il ne se serait rien passé durant ceux-ci.


Estimez-vous avoir des cousins, des fameux prédécesseurs ou des émules? Si oui lesquels...

Les personnalités auxquelles nous pourrions nous identifier, outre William Bickford l'inventeur de la mèche de sûreté pour mineurs sont, Pif le Chien qui, malgré une propension extraordinaire à se promener nu dans la rue n'a jamais été inquiété pour attentat à la pudeur et Mickey Mouse qui était -on ne le dit malheureusement pas assez souvent- contre la guerre et les feuilletons américains.

Emules: il paraît que nous en avons de plus en plus. Pourvu que ça dure.


Réponse à une question non posée à laquelle nous répondons quand même

Nous préférons agir sous couvert de l'anonymat, parce que (en vrac)

- nous ne sommes pas en quête de célébrité individuelle ;
- nous montrons notre désapprobation du terrorisme violent en singeant ses atours: communiqués anonymes, cagoules et clandestinité, d'où la fort pertinente appellation Fraction Armée Révolutionnaire Clandestine Etc. ;
- nous n'avons pas les moyens de payer une nouvelle veste à Christoph Blocher, qui en déposant plainte a du reste parfaitement justifié notre politique d'anonymat. Par ailleurs, nous préférons éviter les éventuelles représailles de certains de ses disciples, dont le verbe souvent brutal laisse craindre qu'il n'ont pas de brutal que le verbe ;
- en titillant la curiosité, l'anonymat est un excellent moyen de faire parler de notre mouvement, et par conséquent d'en augmenter l'efficacité ;
- aux plans technique et logistique, d'éminentes études ont clairement démontré que la clandestinité facilite considérablement la préparation d'opérations dont le respect de la légalité n'est pas l'apanage principal ;
- nous envisageons toutes les formes d'action, pourvu qu'elles relèvent de la farce. Malgré la nature salissante de notre attentat le plus fameux, nous ne nous considérons donc pas comme des entarteurs, et nous n'avons donc pas à mettre nos méthodes en rapport avec celles de Noël Godin ou de ses émules qui agissent au grand jour.
-selon la pénétrante analyse de votre consoeur Florence Duarte (L'Hebdo du 30.9.99), nous manquons simplement de courage. Les six points ci-dessus numérotés de 1 à 6 ne sont donc que de pâles prétextes.


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