2.2 La ville verticale et la circulation |
Comme nous l’avons déjà vu plus en haut, plusieurs architectes, dans l’histoire, avaient déjà envisagé dans des projets utopistes, des tours incroyablement hauts pouvant loger des milliers de personnes en occupant une surface au sol très restreinte (Fig.31 Le Corbusier, Plan Voisin, 1922). Cela afin d'exploiter au maximum la surface terrestre qui, à cause de la surpopulation de la terre, devient rare et précieuse. Ces idées ont sûrement influencé les designers des mégalopoles de science fiction, qu'après s’en être emparées les ont digérés, en amplifiant toutes les composantes à la limite. La ville du cinéma de science fiction se base sur cette vision extrême du futur et sur des connaissances techniques avancées afin de construire un paysage où l’homme vit dans des cellules minimales (existenz minimum), équipées d’appareils conçus sur la base d’une technologie avancée lui permettant de profiter au maximum de l’espace à disposition, de communiquer facilement et rapidement et de se déplacer avec aisance dans la ville par le moyen de voitures volantes (Fig.32). On assiste à une stratification de la ville où la composante tridimensionnelle est présente d'avantage. La position physique de l'homme dans la ville reflet son état social : la classe dirigeante habite dans les parties les plus hautes de la ville (Fig.33), tandis qu’au fur et à mesure qu’on descend, on trouve les classes moyennes pour arriver enfin dans les niveaux souterrains dans un véritable enfer dominé par l'anarchie et la délinquance. La division en quartiers de la ville traditionnelle disparaît en laissant plutôt la place à une structure par couches ou par niveaux ; à la traditionnelle opposition centre - périphérie le cinéma de science-fiction semble avoir préféré l’opposition haut - bas, et une similitude avec une image médiévale paraît inévitable, celle de La Divina Commedia de Dante Alighieri. Cette idée est particulièrement présente dans Le cinquième élément (Fig.34) et dans Métropolis (Fig.35). Le réalisateur Fritz Lang et son designer Kellelhut s’étaient inspirés aux idées de certains urbanistes de la fin du XIXe siècle, dont les plans les plus innovateurs séparaient, au moyen de rues sur plusieurs niveaux, la circulation piétonne, la circulation ferroviaire, celle des services et plus tard aussi celle du trafic automobile. Le plus fameux de ces urbanistes était Eugène Hénard qui influencera par la suite Moses King dans King’s Dream of New York solutions (Fig.36), les propositions pour le trafic de New York du début 1900 (Fig.37 Dessin de Harvey Wiley Corbett (1837-1954) illustrant la "vie future"), et plus tard, dans les années ’60, l’idée de ville à plusieurs niveaux du Team X. Dans Metropolis, pour la première fois dans un film de science-fiction, il y a l’idée de stratification : dans les niveaux souterrains une partie des hommes vit et travaille comme des esclaves dans une société mécanisée, tandis que les maîtres mènent une existence idyllique dans les niveaux supérieurs de la ville. La circulation ne se fait plus seulement à un seul niveau, mais les rues constituent un réseau tridimensionnel de viaducs et passerelles qui atteint les niveaux les plus hauts (Fig.38). Un trafic chaotique de voitures et d’avions s’y déplace comme dans une gigantesque fourmilière. La rue sale et enfoncée dans une lumière floue et tamisée, donne une impression de décadence et d’oppression que nous rappelle certaines gravures de Piranesi (Carceri, 1761) (Fig.39). Ensuite cette idée de circulation superposée se traduira, grâce à une prédiction basée sur le développement du progrès technique, dans une circulation de voitures volantes. Les rues ont disparu et ont laissé la place à un espace aérien de circulation plus éphémère, marquée seulement par des signaux lumineux flottants et identifiables par des engins électroniques dont sont dotées les spinners. Un des premiers films où l'idée des machines volantes apparaît est The Tunnel (1935, Maurice Elvey) (Fig.40). Cette fascinante idée des voitures volantes ne pouvait qu'être reprise et interprétée à nouveau quelque décennie après, à cause de son grand impact visuel. Blade Runner est le fils aîné d’une famille de films qui re-interprètent cette idée et en fait un des points de force de la ville du futur. C’est le designer visionnaire Syd Mead qui conçoit le prototype du spinner (Fig.41), la voiture volante qui envahira les aires dans Le cinquième élément (Fig.42) et dans Judge Dredd (Fig.43). Dans ces deux films, d’une dizaine d’années après, cette idée est poussée à la limite. Les premières images de la ville nous immergent dans un trafic chaotique de voitures volantes distribuées sur plusieurs niveaux de circulation où il ne faut plus seulement faire attention à ce qui se passe devant, derrière et sur les cotées, mais aussi aux voitures qui circulent au-dessus et au-dessous ! Mais la voiture volante ne va plus rester que une image de la science fiction désormais pour longtemps. En effet l’ingénieur canadien Paul Moller a réalisé, après 30 ans d’études et d’essais, un prototype de voiture volante. Ce prototype appelé "M400" est déjà tellement développé qu’il sera bientôt commercialisé : il peut transporter quatre passagers, il peut atteindre une vitesse de 550 kilomètres horaires, il a une autonomie de plus de 1400 kilomètres, il peut voler jusqu’à 6000 mètres de hauteur et la conduite de sa trajectoire est garantie par un contrôle satéllitaire. Nous ne savons pas si, dans ce cas, c’est la fiction qui à inspiré la technique ou le contraire, mais nous savons que bientôt, peut-être, l’image du trafic volant Cinquième élément ne sera plus de la fiction, mais une réalité |