3. La monumentalité

 

Le débat qu’il y a autour de la monumentalité est vaste et complexe. Ce n’est pas le but de ce chapitre d’alimenter cette discussion. Il faut quand de même se baser sur la tendance de l’architecture monumentale –en sens large- de ces décennies pour parler de la ville du cinéma de science fiction. En effet comme nous l’avons vu dans le chapitre 2.1, il est impossible de dissocier l’image de la ville de science fiction de l’histoire de l’architecture. Le thème de la monumentalité, plus que d’autres, se prête à une interprétation dans le cinéma de science-fiction. En analysant les caractéristiques de la ville dans ce genre de films, nous avons déjà souligné, est il parait évidant, que tout y est exagéré : la taille, la hauteur, la densité, la technique. Comment pouvons-nous donc distinguer ce qui est monumental de ce qui ne l’est pas lorsque tout est monumentalement gigantesque.

 

La simplicité, la lisibilité et l’explicitation de sa propre fonction étaient les caractéristiques des monuments à l’âge des lumières. La destination d’un bâtiment était spécifiée par des éléments non structuraux, mais ornementaux et décoratifs.

Ensuite, le modernisme a eu tendance à restreindre l’exigence de la raison des lumières à la seule rationalité des formes. Il y a une disparition de la dimension de la mémoire et du symbole et donc la différenciation entre le monument et la texture de base de la ville s’efface. 

" Le monument moderne deviendra le grand édifice collectif isolé sur le sol dégagé des villes fonctionnelles ". Dans leurs Neuf points à propos de la monumentalité, Sert, Léger et Giedion considèrent l’isolement comme valeur fondamentale de la monumentalité moderne. Le monument, dans cette logique n’est plus défini par un ensemble de qualités architecturales, mais par son mode d’implantation.

La monumentalité, dans tout le second après-guerre, se manifeste aussi dans les villes verticales qui s’expriment à travers le gratte-ciel, expression du pouvoir des entreprises et des administrations. Et dans les années ’60 on la retrouve dans les mégastructures, dont la force est donnée par le grand pouvoir communicationnel des écrans et des signaux lumineux appliqués en façade (Fig.45) et dans le saut d’échelle qui est en contraste avec le contexte urbain environnant.

Cette recherche de la communication est un aspect repris aussi par les postmodernes qui ont cherché à faire "parler " leurs bâtiments, en affichant leur destination, discrètement, au moyen d’un discours métonymique (par exemple l’opéra de Sidney de Utzon ou la Grande Bibliothèque de France en forme de quatre livres ouvertes de Perrault), ou d’une manière très évidente, qui s’approche inévitablement du kitsch (un exemple très représentatif c’est le bâtiment en forme de canard sur la route 66 de Venturi).

 

Il semblerait que les créateurs de la ville du cinéma de science-fiction ait choisi de représenter ce qui sont sensés être les bâtiments monumentaux, à travers l’expression de l’exagérément grand et à la fois très kitsch.

Dans Metropolis la tour la plus haute est celle qui loge les bureaux et l’habitation du patron de la ville. D’autant plus que ce gratte-ciel, par ses quatre avant-toits posés sur l’extrémité en guise d’observatoire et par sa plante circulaire semble pouvoir contrôler la ville entière (Fig.19,33).

Le pouvoir dans Blade Runner est logé dans des gigantesques pyramides qui sont assez facilement repérables dans la ville à cause de leur taille énorme et par leur particulière illumination. Ici la référence aux temples Maya est la transfiguration du pouvoir religieux dans l’hégémonie de la Tyrrel Corporation, productrices de répliquants, force motrice de l’économie mondiale (Fig.27). Dans Los Angeles du 2019, l’urbanisme est celui d’aujourd’hui poussé au paroxysme. Pas de despotisme totalitaire, juste le pouvoir feutré mais implacable d’une multinationale.

Dans Judge Dredd le bâtiment qui incarne le pouvoir, nous rappelle une gigantesque tête d’aigle, symbole des policiers-juges qui sont chargés d’imposer la loi dans la ville (Fig.46).

La tour-siège de l’entreprise Zorg dans Le cinquième élément ne se distingue des autres bâtiments de la ville que par une énorme enseigne lumineuse au néon.

Le Ministère de Brazil nous rappelle un bâtiment d’architecture fasciste, avec son énorme hall d’entrée (Fig.47).

Mais nous avons l’impression que tous ces bâtiments, soit qu’ils empruntent le style de l’architecture monumentale fasciste, l’efficacité communicative des enseignes lumineuses kitsch, le discours métonymique des postmodernes ou la majestueuse spiritualité des temples d’anciennes religions, n’arrivent pas à afficher leur pouvoir de manière indéniable. En effet ils sont immergés dans le contexte de la ville de science-fiction qui est composé de monuments à la technique, à la communication, au pouvoir économique, à la promiscuité des races et des cultures, au poids de l’histoire. Dans ce tissu c’est difficile d’épater, parce que tout y est exagéré et c’est difficile d’émerger dans l’exagération.

Voilà alors que la ville elle-même devient monument. Elle représente le pouvoir de la résistance de l’homme dans cet environnement hostile que lui-même a contribué à le rendre tel. C’est l’icône, le signe de la présence de la race humaine dans l’univers.

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